[EDUC] Manuels numériques interopérables et éditeurs (échange de courriels)

[Thierry Munoz <thierry.munoz AT free.fr>]

Bonjour à tous,
En ce début d'année scolaire, j'ai écrit à un éditeur de manuel scolaire pour me plaindre de leur manuel numérique qui ne fonctionne pas sous GNU/Linux. Voici donc un échange de courriel anonymisé (j'ai remplacé les infos nominatives par des crochets, car il ne s'agit pas de dénoncer un éditeur ou une personne en particulier) qui me semble illustrer l'attitude de la majorité des éditeurs classiques.
La réponse concise (pour ne pas dire autre chose) de l'éditeur a le mérite de m'avoir obligé à développer un argumentaire qui vaut ce qu'il vaut ...
Je pense aussi que chacun ou l'APRIL pourrait écrire aux éditeurs pour leur montrer qu'il y a une demande.
Par curiosité, a-t-on une idée du nombre d'établissements publics scolaires français qui utilisent des OS libres ?
Cordialement,

Thierry

Mon premier courriel envoyé via le site de l'éditeur :

Bonjour,
Je constate que malheureusement le manuel numérique vidéoprojetable [nom du manuel scolaire] à télécharger ne s'adresse encore qu'aux utilisateurs WIndows...
C'est vraiment regrettable d'ignorer une part de plus en plus importante d'utilisateurs fonctionnant sous GNU/Linux (entre autres OS).
Utilisant votre manuel (adoptant), je n'ai pas le choix : je dois passer par Internet avec les contraintes que ça implique (connexion obligatoire, lenteurs, etc...) pour pouvoir le vidéoprojeter.
À l'avenir, quitte à devoir me passer d'éditeurs "classiques", je n'adopterai que des manuels avec un manuel numérique interopérable.
C'est plutôt dommage de la part de [nom de l'éditeur] sachant que par ailleurs vous éditer les cahiers libres [nom de l'association à l'origine du partage], ce qui montre que vous avez compris l'intérêt du partage et de l'ouverture amené par le monde du libre.
En espérant ne pas avoir à vous renvoyer ce genre de courriel l'année prochaine (même si j'ai peu d'espoir, vu l'absence d'évolution/prise en compte de ce problème au fil des ans). Quoi qu'il en soit on ne m'y reprendra plus.
Librement,

Thierry Munoz
Professeur des Écoles
École Marie Curie
11200 Lézignan-Corbières


Réponse intégrale de l'assistante de direction de l'éditeur :

C'est que, peut-être, vous n'avez pas idée des problèmes et des coûts à l'heure actuelle rien que pour Windows...
On se pose la question pour les autres, Linux... mais le coût, les problèmes supplémentaires, les complications...
L'intérêt du partage et de l'ouverture ne rime pas avec l'intérêt de l'auteur, avec les droits d'auteurs, le travail de l'éditeur... L'évolution rapide actuelle n'a-t-elle pas déjà tendance à "tuer" beaucoup de métiers ? de savoir-faire ?
Il y en a beaucoup des manuels numériques "inter-opérables" ?

[Prénom et Nom]
Assistante de Direction


Ma réponse :

Bonjour,
Merci pour votre réponse... qui m'amène à développer mon premier courriel.

Le 10/09/2015 17:55, [Nom de l'éditeur].Experts a écrit :
> C'est que, peut-être, vous n'avez pas idée des problèmes et des coûts à l'heure actuelle rien que pour Windows...
> On se pose la question pour les autres, Linux... mais le coût, les problèmes supplémentaires, les complications...
Ma demande ne découle pas d'un caprice de quelqu'un qui n'a pas les pieds sur terre ou qui ne se préoccupe pas des problèmes dont vous parlez. Bien au contraire.

Le développement n'est pas le souci de l'utilisateur final qui veut un produit qui fonctionne. Achetez-vous votre voiture en fonction de la marque du carburant, de celle des pneus ou vice-versa ? Y a-t-il des stylos qui n'écrivent que sur une marque de papier ou inversement quand vous écrivez, le fabriquant du papier vous impose-t-il un stylo précis ? Non, et c'est même impensable. Alors en quoi le fait de demander que vos manuels numériques fonctionnent sous plusieurs systèmes d'exploitation serait-il aussi irréaliste ?

Les complications viennent du fait qu'au départ, vous concevez un produit pour un seul type d'OS, voire deux liés à des entités commerciales. Si l'interopérabilité était prise en compte dès le départ, il n'y aurait pas tous ces soucis par la suite. Vous prenez le problème à l'envers : on ne peut pas sciemment s'enfermer puis dire que c'est la faute aux autres qui n'ont qu'à faire un effort, EUX ...
Que dire si un jour Windows disparaît ou n'est plus aussi répandu (rien n'est jamais acquis, surtout dans le monde du numérique où tout va si vite...), vous allez devoir reprendre le développement de zéro : serait-ce alors un gain de temps, d'argent ? En plus maintenant, il y a Android... un système de plus...

> L'intérêt du partage et de l'ouverture ne rime pas avec l'intérêt de l'auteur, avec les droits d'auteurs, le travail de l'éditeur... L'évolution rapide actuelle n'a-t-elle pas déjà tendance à "tuer" beaucoup de métiers ? de savoir-faire ?
Je crains que vous ne confondiez partage et pillage. Je partage et en contre-partie je "profite" du partage de l'autre. Quand un logiciel libre me satisfait, il m'arrive bien souvent de faire un don (à la hauteur de mes moyens) sans être racketté. Quand je détecte un bug, je le signale pour qu'un développeur tente de le corriger... bref j'essaie de contribuer à mon niveau, je fais un effort autre que financier, sachant que ça profitera au plus grand nombre (dont une majorité de personnes qui n'ont pas forcément le temps ou les connaissances pour aider).

À ce propos, votre site Internet semble tourner sous Drupal. Savez-vous qu'il s'agit d'un logiciel libre et ouvert ? Sous quel système tourne votre serveur ? Il y a de grandes chances que ce soit sous Apache, un autre logiciel libre...Donc quand ça vous arrange, ça ne vous gène pas d'utiliser des logiciels libres. Effectivement, vous auriez bien tort de vous en priver, grâce à eux, vous n'avez pas eu besoin de financer leur développement entier (ce qui aurait eu un coût exorbitant). Pourquoi ce qui serait bon pour vous ne serait pas bon pour les autres (vos clients) ?
On est donc dans un autre modèle économique où on ne paie pas pour le logiciel (ou du moins on ne paie qu'une fois pour son développement) mais pour un service localisé (je suppose que vous rémunérez quand-même les développeurs du site qui vivent en France, à moins que vous n'externalisiez à l'étranger...).
Alors oui, des métiers disparaissent mais d'autres apparaissent : sous prétexte de maintenir les charbonniers, garderiez-vous une cave et un poêle à charbon ? On pourrait multiplier les exemples...

Concernant les droits d'auteurs, on pourrait discuter sur la répartition entre auteurs et éditeurs... La propriété intellectuelle, elle ne disparaît pas.

Je ne suis pas un barbu intégriste du libre (qui ont le mérite d'éveiller les consciences) mais il me semble que nous avons le droit d'avoir le choix : que ceux qui veulent utiliser Windows ou Apple le fasse, je ne cherche pas à l'empêcher.

Je suis un fonctionnaire payé grâce aux impôts de tous et aussi un citoyen qui a le souci du bien public. Pourquoi l'état devrait-il continuer à payer pour des logiciels dont les développements ont déjà été amortis maintes et maintes fois ? Pourquoi devrait-il financer l'achat de nouveaux ordinateurs quand les anciens OS ne sont plus maintenus et ceci alors que le matériel est fonctionnel (la preuve nous utilisons avec satisfaction dans notre école des PC qui tournaient sous XP)... Quel gâchis et quelle pollution (vous voyez les conséquences dépassent la simple question d'un logiciel qui ne fonctionne pas sous un OS libre) ! Quand mon école installe des systèmes d'exploitation et des logiciels libres c'est autant d'argent économisé qui pourrait justement servir a financer le développement d'outils utilisables par tous. En plus, nous ne piratons rien (ce qui n'est pas toujours le cas quand on utilise des logiciels propriétaires payants).

Si on observe ce site : http://www.auteursendanger.fr/, quels intérêts défend-on ? Ceux des auteurs ou plutôt ceux des éditeurs ? On critique les GAFA mais qui leur donne autant de pouvoir en fabriquant des produits fonctionnant uniquement pour eux (comme Microsoft et Apple) ? Dans un auto-satisfecit (voir la capture) ci-dessous, on affirme que les éditeurs ont réussi leur transition numérique... Ah bon ? Quand on voit qu'on ne peut pas utiliser des produits sous GNU/Linux par exemple, avec plein de contraintes pour l'utilisateur final ... c'est aller un peu vite.

> Il y en a beaucoup des manuels numériques "inter-opérables" ? Pas encore et je le regrette. Mais si vous n'évoluez pas, vous risquez bientôt de vous lamenter comme les professions qui n'ont pas su se moderniser face aux changements et qui courent derrière leurs "privilèges" ou rentes de situation qu'ils croyaient éternelles en faisant du lobbying... Au lieu d'essayer de faire du suivisme (combat perdu d'avance) face aux GAFA qui ne souhaitent qu'une chose, imposer leurs formats propriétaires pour accentuer leur pouvoir et moyens de pression que leur confère leur situation prédominante, peut-être serait-il plus intéressant pour vous d'évoluer/d'innover et de vous démarquer justement en vous libérant de leur joug en offrant des produits indépendants des leurs ... D'autant que de plus en plus d'établissements scolaires utilisent les OS et logiciels libres... Je sais bien qu'il est difficile d'évoluer surtout pour une entreprise qui a ses habitudes (confort ?) mais votre réponse "d'expert" (comme le sous-entend votre adresse courriel) qui balaie d'un revers de main un problème bien réel me semble bien peu commerciale (pour ne pas dire sèche...). Elle montre une absence de réflexion sur une question qui est loin d'être secondaire (question d'éthique ?). Vous avez de bons produits papiers (ça fait plusieurs années que je prends des livres pour ma classe) mais aujourd'hui ce n'est plus suffisant. Si le manuel numérique ne suit pas, je me tournerai alors vers d'autres éditeurs (s'il y en a) ou je me passerai des livres (je peux produire des documents libres aussi et me servir du travail partagé par d'autres enseignants). En espérant vous avoir un peu éclairée sur les raisons de mon mécontentement (qui me semble légitime). Librement, Thierry Munoz Professeurs des écoles PS : une bonne source (entre-autres) concernant toutes ces questions d'interopérabilité : http://www.april.org/

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