Objet : Liste de discussion du groupe de travail Éducation et logiciels libres de l'April (liste à inscription publique)
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- From: cnestel AT free.fr
- To: educ AT april.org
- Subject: Re: [EDUC] Re : [un peu HS] Le poids des mots
- Date: Wed, 29 Sep 2010 18:44:34 +0200 (CEST)
----- "Patrice Weisheimer" <pweisheimersep AT yahoo.fr> a écrit :
> Bonjour,
>
> J'ai écrit qques trucs là dessus également en m'inspirant notamment de
> LEPAGE:
>
> RGPP décomposition de la recette
> http://sep.unsa-education.org/index.php?option=com_content&view=article&id=154:rgpp-decomposition-de-la-recette&catid=63:alsace
Pardonne-moi, j'ai pas eu le temps de tout voir, mais je souhaiterais
apporter quelques précisions sur l'école et le service public.
En premier lieu, rappelons-nous que le mot service est de la même famille
que le mot servage, servitude, serf :
"Du latin servitium (« esclavage », « servitude », « captivité »; «
domesticité »;
« assujettissement », « joug », « servage », « servilité ») de servus («
esclave »)
et servire (« être asservi »).".
Réf : http://fr.wiktionary.org/wiki/service
La notion de service est donc féodale.
La notion de "service publique" apparaît pour la première fois, durant
la révolution française, peu de temps après la création de l'Ecole
Polytechnique (source dans un bouquin encore dans un carton à la
suite d'un déménagement, mais je peux te la retrouver).
Il s'agissait, surtout pour Napoléon qui transforma Polytechnique en
grande école, de créer un corps d'ingénieurs (salpêtres etc... ) au
service de l'Etat (n'oublions pas, par ailleurs, que l'ingénieur était
celui qui construisait au Moyen Age des machines de guerre).
L'agent de service public, était donc, lors de la création de cette
notion durant la révolution à l'occasion de la fondation de
Polytechnique, un agent doté d'une technicité au service de l'Etat.
Pour ce qui concerne la bureaucratie et apporter du grain à moudre
à ton analyse, ce n'est pas par hasard que l'on appelait la bureaucratie
Soviétique la Nomenklatura (en Français "nomenclature") ; terme qui
n'est pas sans évoquer ce que l'on appelle en France la "technostructure",
la "technocratie".
Pour ce qui concerne l'école, notre époque victime d'une perte de mémoire
a tendance à oublier qu'il n'était pas question, pour les fondateurs
des principes de l'instruction publique, qu'elle est le même statut
que le corps d'ingénieurs de Polytechnique.
L'école devait être dans leur esprit une institution et non pas un service
public. Si la puissance publique était tenue de rémunérer les enseignants,
elle
n'avait aucun droit d'imposer sa vision du monde comme étant une vérité ;
d'où le combat acharné de Condorcet pour que l'éducation (toujours
emprunte de valeurs morales, religieuses, communautaires, de particularismes
culturels et donc parfois de préjugés, d'obscurantismes) relève
de la sphère privée.
Robespierre était partisan d'arracher les enfants aux familles à l'image
de Sparte pour que l'Etat se substitue à la sphère privée.
La notion de service public implique donc, d'une manière ou d'une autre,
que l'agent soit au service de quelqu'un : l'Etat (puis au XXème siècle
au service des usagers : EDF, SNCF, la Poste, etc).
Dans l'esprit des fondateurs de l'Ecole de la République l'école devait
être une institution, au même titre par exemple que la Justice, indépendante
de tous pouvoirs politiques, garantie par la puissance publique, l'Etat.
Dans bloc constitutionnel de la cinquième République on peut encore lire :
"« La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à
l'instruction, à la culture et à la formation professionnelle.
L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous
les degrés est un devoir de l'État ».
Réf :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Minist%C3%A8re_de_l%27%C3%89ducation_nationale
C'est surtout avec la Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 (réforme
Jospin-Allègre)
qu'apparaît explicitement la notion de "service public d'éducation" à propos
de l'école :
"L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de
l’éducation
est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à
l’égalité
des chances.".
http://dcalin.fr/textoff/loi_1989.html
Une partie des enseignants avait alors craint, à juste titre, que la
transformation
de l'élève en "usager", voire éventuellement en "client" (vocabulaire
pédagogique utilisé
à une certaine époque au Québéc), allait transformer l'école en prestataire de
services.
Voilà pourquoi de nombreux enseignants (par exemple FO dont je précise que
je ne suis pas membre) refusaient la transformation de l'école en service
public
d'éducation.
Aujourd'hui, n'est-il pas cocasse de voir de jeunes enseignants
militer en faveur de la défense du service public d'éducation, pensant qu'il
s'agit d'un acquis ?
J'enseigne dans un milieu hyper privilégié, pas seulement du point de vue
social, mais également du point de vue culturel. Voir les enfants, rencontrer
les parents, est pour moi un réel plaisir et mon métier un loisir (le mot
école
vient de loisir) si je ne devais pas appliquer des programmes scolaires
imposés en grande partie par Microsoft et ses alliés (je suis professeur
de Technologie).
Pour autant, lorsque j'entends des collègues me dire que dans mon ancien
collège, des profs s'enferment dans leur salle de classe pour pleurer,
idem dans des lycées professionnels de Marseille, ou encore lorsqu'on
me relate des relations très tendues dans des milieux qualifiés de nouveaux
riches ou les gamins prennent les profs pour de la merde et les prennent
pour des prestataires à leur service, je ne peux pas m'empêcher de penser
que l'une des autres causes de cette dégradation, se rouve dans des discours
pédagogistes de type "mettre l'enfant au coeur du dispositif éducatif",
"service public d'éducation", etc.
Autre point sur lequel je souhaiterais intervenir : l'éducation populaire.
En premier on devrait en retracer également l'histoire et l'économie
(l'économie dite de Tiers Secteur représente une part très importante
de notre économie).
Cela étant dit. Je reste persuadé que les enjeux qui touchent l'école
et l'éducation populaire ne sont pas de même ordre. La confusion entre
les deux me semblerait des plus nuisibles.
De ce fait, la promotion des logiciels libres au sein de l'école et
dans l'éducation populaire ne relèvent pas des mêmes contextes, même
si bien sûr il y a aussi de nombreux points communs.
A suivre.
Charlie
- Re: [EDUC] Re : [un peu HS] Le poids des mots, cnestel, 29/09/2010
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