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educ - Re : [EDUC] bonjour

Objet : Liste de discussion du groupe de travail Éducation et logiciels libres de l'April (liste à inscription publique)

Archives de la liste

Re : [EDUC] bonjour


Chronologique Discussions 
  • From: cnestel AT free.fr
  • To: Véronique Bonnet <veronique.bonnet AT mailoo.org>
  • Cc: educ AT april.org
  • Subject: Re : [EDUC] bonjour
  • Date: Sun, 1 Jun 2014 13:48:59 +0200 (CEST)

----- Véronique Bonnet <veronique.bonnet AT mailoo.org> a écrit :
> Bonjour à tous,
> sur l'indication de Rémi, qui m'a parlé de cette liste éducation, je me
> permets de souhaiter faire partie de la liste de diffusion. Je suis
> professeur de philosophie en taupe et prépa HEC au lycée Janson de
> Sailly. J'ai un projet concernant des bibliographies sur les thèmes au
> programme des concours avec liens vers des documents wikisource, et
> j'écris actuellement un livre libre sur rms et l'éthique de l'espace
> numérique.
> J'ai rejoint l'April seulement depuis janvier dernier, et je m'y trouve
> bien.
> Très belle journée.
> Librement.
> Véronique.

Bienvenue Véronique,

Je profite de ton post de présentation pour répondre à ton dernier message
sur la liste principale de l'April. Je n'avais pas répondu pour ne pas
partir dans un débat sur les nominalistes et les niversaux auquel se référait
ce post qui, par un étrange concours de circonstance, puisque tu poses ici
la question de l'éthique et de l'informatique, eut lieu au département
informatique de l'université Paris 8, précisément là où fut fondée l'April
qui succéda à GNA avant de devenir le chapitre français de la FSF.

Pour commencer, réponse à ton mèl sur la liste principale de l'April
(avant même de répondre sur le sujet de ton livre sur RMS et l'éthique
de l'espace "numérique" (tu devrais tout de même soumettre le terme numérique
à un examen critique).

Tu avais écrit :

"Je comprends bien la vigilance de Thibault. Autant éviter en effet, dans
la mesure du possible, les approximations dans la manière de nommer ceci
ou cela. Et le lien envoyé par Jean-Christophe vers la page de l'April
sur les connotations à éviter est précieux, les préconisations de la fsf
également très importantes...

Mais François rappelle que se focaliser seulement sur une approche
bijective ( tel mot pour tel objet plutôt que tel mot) fait courir le
risque d'une moindre vigilance sur la question du rapport des objets
entre eux, et des mots entre eux.

Rappelons-nous de quel côté était l'Inquisition (dans les suites de la
querelle linguistique dite des Universaux, à partir d'une ambiguïté
soulevée par un commentateur d'Aristote): du côté bien sûr du réalisme (
au sens linguistique du terme : un mot=>une chose), perspective
métonymique qui ignore délibérément le contexte, qui prend la partie
pour la totalité.
L'Inquisition s'est positionnée très violemment contre le nominalisme
(cf Guillaume d'Occam, le trublion qui ne consent à nommer quoi que ce
soit qu'en vertu du contexte, en l'éclairant par le totalité dont il est
une partie).

Comment nommer quoi doit requérir toute notre vigilance, Thibault a bien
raison d'y insister et pourquoi pas des bijections, notamment dans un
registre technique-pratique. Mais en effet, merci François, ne soyons
pas dupes d'un certain pointillisme dans lequel certains voudraient bien
qu'on se cantonne... ".

J'ai été ravi de lire ce message qui, en dernière analyse, pose la question
du totalitarisme. Pour autant, juste un point de détail, je ne suis pas sûr
que
la métonymie qui permet également des glissements sémantiques par
l'énonciation
d'un signifiant pour un autre, la ville pour les habitants, la classe
pour la salle, etc, soit limitée à la partie pour le tout. La partie pour
le tout renvoie davantage à la question du raisonnement par induction, que
l'on peut nommer également champ sémantique, classification par segmentation
arborescente, le penser/classer de Pérec, ou la décomposition de chaque
difficulté jusqu'au plus simple élément attribuée à Descartes.

A l'inverse, un concept dont la puissance d'évocation va au delà de sa
puissance
de signifié peut éveiller des sensations de joie dans un discours poétique
ou amoureux, et se révéler des plus totalitaires en tant qu'élément de langage
idéologique. Nous sommes également en guerre sémantique.
Et si tout champ lexical est nécessairement local et hypertexte, chacune des
notions qui le constitue participe également au champ sémantique, d'une
arborescence locale. Ici se pose la question de l'axiomatique.
La philosophie du Libre est non seulement éthique, mais cette éthique
fonctionne comme une axiomatique.

Longtemps je me suis posé la question d'essayer de comprendre pourquoi
durant les années où je fus enseignant au département informatique de
l'université Paris 8, les informaticiens portaient un grand intérêt
à la question de la querelle entre les nominalistes et les Universaux,
à Husserl, Wittgenstein, aux différents auteurs qui contribuèrent à la
critique
du raisonnement par induction, de Kant à Karl Popper, alors même que ces
auteurs restaient ignorés au département philo de la même université.

Les raisons, me semble-t-il sont multiples et tiennent aux formations
initiales des fondateurs du département informatique de Paris 8, seul
département informatique de France dans une fac de lettres, et pas n'importe
laquelle, une université populaire ouverte à Vincennes aux non bacheliers,
inscrite dans la pensée de mai 68...

La première chose qui me vient à l'esprit pour enrichir ta quête : un
manifeste
d'Yves Lecerf, fondateur du département informatique et du courant radical de
l'ethnométhodologie
française, intitulé "La science comme réseau : projet de manifeste pour une
union
rationaliste localiste".

On peut y lire entre autre :

"La notion d'une rationalité locale se connaissant elle-même pour telle et
fonctionnant
en dialogue ouvert avec ce qui n'est pas elle-même est d'une certaine façon,
une idée naturelle
à l'informatique.
L ' informaticien peut et doit savoir qu ' il ne contrôle que la rationalité
de ce qui se passe
dans sa machine. Sauf à le voir sortir complètement de sa spécialité les
qualités de rationalité
ou d'irrationalité qui peuvent être impliquées en aval et en amont de ses
calculs sont généralement
de son point de vue des éléments invérifiables.".
http://vadeker.net/corpus/reseau.htm

Cette pensée qu'exprime ici Yves Lecerf ne s'inscrit pas seulement à mon
humble avis
dans une approche philosophique de la science, c'est au contraire en
réfléchissant à sa pratique
d'informaticien qu'il a rencontré en chemin un corpus que l'on peut également
qualifier
de philosophique.

La querelle qui a par exemple opposé dans les années soixante Bar Hillel à
Noam Chomsky à propos
d'une machine universelle de traduction des langues, basée sur la grammaire
générative,
n'y est pas pour rien. Ce débat a traversé tous les informaticiens
intéressés par la question
du traitement des langues naturelles.

Voir par exemple :
http://www.aaai.org/Papers/BISFAI/1995/BISFAI95-027.pdf

Ici avec Google traduction
http://translate.google.fr/translate?hl=fr&sl=en&u=http://www.aaai.org/Papers/BISFAI/1995/BISFAI95-027.pdf&prev=/search%3Fq%3D%25C2%25AB%2BBar-Hillel%2Band%2BMachine%2BTranslation:%2BThen%2Band%2BNow%2B%25C2%25BB%26client%3Dfirefox-a%26hs%3DCmN%26rls%3Dorg.mozilla:fr:official%26channel%3Dsb

Les informaticiens qui se sont posés la question des langages de programmation
pour communiquer ses algorithmes à une machine se sont vite rendus compte
qu'il
n'était pas possible de communiquer avec un ordinateur à l'aide d'un langage
naturel
compte tenu du fait que les langues naturelles sont intrinsèquement ambiguës
:
"le sens d'une phrase dépend souvent du contexte dans lequel la phrase est
utilisée.".
http://www.infeig.unige.ch/support/cpil/lect/formal/node1.html

Seules les grammaires génératives académiques et/ou formelles dont le sens
évolue peu ont pu donner naissance à des langages informatiques. C'est l'un
des aspects fondamentaux, me semble-t-il, de la science informatique.
En ce sens, des échanges avec David Chemouil (enseignant-chercheur) ici
présent sur
cette liste, sans oublier François Poulain qui enseigne actuellement à
Polytechnique
mais dont le champ de réflexion pluridisciplinaire est immense.


Ce caractère irrémédiable de l'indexicalité amèna les informaticiens de Paris
8
à formuler une critique radicale de la prétention des sciences humaines à
se positionner en tant qu'observateurs universels de l'universel :

"Le fait que le sens des mots puisse être multiple n'est pas dans l'histoire
des langues et de leurs dictionnaires une nouveauté. Par contre, relativement
nouvelle est l'affirmation du caractère irrémédiable du phénomène à travers
l'indexicalité. L'irrémédiabilité tient au fait que dans des conditions
imprévisibles
et de manière indéfiniment répétée, il peut apparaître, de par le phénomène
d'indexicalité,
toujours ses significations nouvelles. Rien ne prouve donc jamais qu'une
liste
de significations est complète.
Des argumentations seront donc développées pour montrer que ce phénomène sape
dans une
certaine mesure toute entreprise de construction d'une sémantique pour une
langue donnée ;
avec des répercussions ensuite qui compromettent très gravement toute
possibilité de construire
des grammaires formelles ; (et l'on connaît les difficultés rencontrées par
l'école chomskienne
en cette matière). Les langues naturelles ne sont finalement donc, du fait de
l'indexicalité,
pas susceptibles individuellement de définitions complètement précises :
affirmation grave
qui mine sournoisement les bases de la linguistique générale. De ce fait,
comprendre un texte,
c'est pour partie raisonner mais pour partie donc aussi exercer une fonction
divinatoire.
A partir de là, et de proche en proche, l'indexicalité sapera aussi dans une
certaine mesure
l'édifice scientifique de la sociologie et ceux des sciences sociales ;
puisque les langues
naturelles sont des instruments obligés de ces disciplines. L'indexicalité
ôtera d'abord tout
espoir d'expliciter une fois pour toute les " allants de soi " d'un groupe
(le langage naturel
du " non dit " n'est pas mieux défini que le langage naturel du " dit ").
L'indexicalité empêchera ensuite de donner avec certitude des définitions
objectives ;
(car sans langage point de définitions) ; mais sans définitions objectives,
point de sciences
sociales au sens traditionnel du terme.
http://vadeker.net/corpus/lexique.htm#12

Je ne sais pas si les quelques pistes que je te livre seront utiles à ta
requête.
Pour autant, le point commun me semble-t-il entre la démarche intellectuelle
de Richard Stallman d'avec celle des informaticiens de Paris 8 des années
quatre-vingt/
quatre-vingt-dix, c'est le fait que leur réflexion sur l'informatique
débouche sur
la question de l'éthique.

Voir par exemple le texte d'Yves Lecerf prononcé au Cercle éthique des
affaires en 1993 que
l'on peut considérer comme un manifeste anti-totalitaire :
http://vadeker.net/corpus/ethique.htm

Je termine ce post en te conseillant d'entrer en contact avec Jacqueline
Signorini
(de la part de Charlie). Elle fut et est, tout comme toi, non seulement
philosophe
(je crois qu'elle avait écrit une thèse sur Kant) mais également professeure
d'
informatique.
Elle fut la première en France à avoir réalisé une étude inscrite dans le
courant
radical français de l'ethnométhodologie. Il s'agissait d'un réseau
d'informaticiens
intitulé Géocub.
http://www.france-science.org/Bio-Signorini,1860.html
http://www.ai.univ-paris8.fr/~sign/CVfr.pdf

Il me semble que ton objet de recherche s'inscrit dans cette filiation qui,
cerise
sur le gâteau, me semble féminine.

Librement,
Charlie








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