Bonjour
à tous,
Suite au premier texte de Bastien et à nos échanges, j'avais commencé à
travailler sur un texte complémentaire sur l'idée du logiciel libre
comme branche de l'ESS. Bon, il m'a doublé en faisant une nouvelle
version de son texte mais je vous livre tout de même ce que j'ai fait
(voir ci-dessous).
C'est sous licence « texte martyr » (une licence antérieure à Creative
Commons qui indique que le texte n'est pas impérissable et qu'il peut
être oublié, massacré, trituré dans tous les sens, complètement
récrit, etc.).
Par rapport au texte de Bastien, j'ai plus une vision d'informaticien.
Mon point de vue est même très « April » (plus proche de la Free
Software Foundation ( que l'Open Source Initiative) puisque je
distingue les licences copyleft des autres. C'est un point important
car à l'heure où Microsof se met à faire de «l'open source » à son
sauce, le logiciel libre court le même risque que la Responsabilité
Sociale des Entreprises (RSE) ou du Développement Durable, c'est à dire
se voir récupérer et carrément édulcoré par certains.
Inversement, je ne fais pas de distinction entre économie sociale et
économie solidaire et j'utilise « ESS ». C'est toujours comme ça, on
est très pointilleux sur les nuances quand il s'agit de son sujet et
préférer l'approximation quand on maitrise moins le propos.
Vincent :
Le logiciel libre, une branche de l'ESS
« Le logiciel libre, une branche de
l'économie sociale et solidaire (ESS) », voici une affirmation qui
peut en étonner plus d'un : des acteurs de l'ESS, d'une part, pour
qui l'informatique est d'abord un outil froid et hostile avec lequel
on est bien contraint de composer, des acteurs du logiciel libre,
d'autre part, qui n'avaient jamais pensé leur activité en ces
termes, voire qui, par conviction personnelle, ne se sentent aucune
affinité avec l'ESS. Le logiciel libre ne fait pas partie de la
mouvance de l'ESS de jure mais il nous semble que sous
certaines conditions il en fait partie de facto.
Démonstration.
Pour commencer, il est nécessaire de
rappeler la définition d'un logiciel libre. Tout comme les papillons
qui passent leur courte vie sous deux formes radicalement différentes
: la chenille et l'imago (le papillon adulte), ce qu'on appelle un
logiciel a deux formes distinctes : le code source et la version
compilée. Le code source, c'est la série d'instructions définies
par un langage informatique saisies par un humain pour indiquer à la
machine ce qu'elle doit faire (cela ne marche pas toujours
parfaitement et ça s'appelle alors un bogue). La version compilée,
c'est la traduction du code source dans la seule langue que les
machines comprennent : le langage binaire , c'est à dire une
succession de 0 et de 1.
En pratique, l'utilisateur lambda de
l'informatique n'est confronté qu'à la version compilée du
logiciel, celle qui tourne sur son ordinateur et qui est censée
l'aider dans son travail. Dans le modèle économique dominant de
l'informatique actuel, le code source est un secret professionnel
bien gardé qui ne sort pas des murs de l'éditeur. Le résultat,
c'est que personne d'autre que l'éditeur ne peut vraiment savoir ce
que fait réellement le logiciel et que sa modification et son
amélioration passe forcément par celui-ci. Cette situation de
monopole conduit à une véritable rente de situation de l'éditeur
au détriment du consommateur, rente de situation qui apparaît
clairement au moment des mises à jour du logiciel que l'éditeur
impose et facture.
C'est pour combattre cette rente de
situation et cette impossibilité d'adapter son outil de travail à
ses besoins propres qu'est né le concept de « logiciel libre ». Un
logiciel est dit libre quand il respecte les quatre libertés
suivantes :
-
liberté d'utiliser et de
diffuser
le
logiciel
-
liberté de consulter le code
source
-
liberté de modifier le code
source
-
liberté de distribuer les
modifications faites sur le logiciel
La première liberté, celle
d'utilisation et de diffusion, se traduit souvent dans les faits par
la gratuité du logiciel. Cette gratuité n'est qu'une conséquence
heureuse, elle n'est pas le but ultime. Ce n'est pas d'ailleurs cette
gratuité qui qualifierait le logiciel libre comme branche de l'ESS
mais bien le changement du rapport entre producteur et consommateur
qui découle de ces quatre libertés.
La première objection que l'on peut
faire c'est qu'une liberté n'a de sens que si elle peut être
exercée. Or, sur les quatre libertés, les trois dernières ne
concernent qu'une très faible minorité de la population : ceux qui
ont le bagage technique suffisant pour lire le code et le modifier.
Cette objection est incontestable.
On
peut y réponde de la façon suivante : « Si les informaticiens
sont une très petite minorité, cela représente déjà un ensemble
beaucoup plus large et divers que le petit groupe constitué par
l'éditeur d'un logiciel non libre et ses affidés. Avec un logiciel
libre, vous trouverez toujours quelqu'un d'extérieur avec les
compétences nécessaires pour intervenir indépendamment de
l'éditeur original ». C'est souvent vrai mais ce n'est jamais
évident surtout pour les logiciels complexes ou très spécifiques.
La seconde objection, c'est que le
logiciel libre doit profiter à l'utilisateur final. Si le logiciel
libre n'est qu'un espace de dialogue et de travail collaboratif entre
informaticiens, tant mieux pour eux mais cela n'en fait pas une
branche de l'ESS.
La réponse à cette seconde objection
existe déjà dans le monde du logiciel libre mais elle n'y fait pas
l'unanimité, on peut même dire qu'elle est à l'origine du plus
fort clivage qui existe actuellement au sein du monde du logiciel
libre : la différence entre les licences copyleft et les
autres.
Pour comprendre ce qu'est une
licence
copyleft (jeu de mot par rapport au terme copyright), il faut
préciser le point suivant : lorsqu'un auteur décide de faire passer
son logiciel en logiciel libre, cela ne signifie pas qu'il verse le
code source dans le domaine public. Il conserve tous ses droits
d'auteurs et accorde aux tiers une licence d'utilisation et d'accès
au code source, licence qui respecte les quatre libertés cités plus
haut. Il n'existe pas de licence unique et une licence peut
introduire des clauses qui lui sont propres, à tel point que
certaines licences sont incompatibles entre elles-mêmes.
Les licences copyleft
introduisent la clause suivante liée à la quatrième liberté du
logiciel libre : vous pouvez diffuser les modifications que vous avez
effectuées sur le code mais à condition que ces modifications
soient elles-mêmes sous une licence libre copyleft. Cette
clause est fondamentale. Ses détracteurs la qualifient de « virales
» (on ne peut faire coexister du logiciel libre avec du non libre).
Ses zélateurs mettent en avant le cercle vertueux que ces licences
enclenchent.
Sans licence copyleft, en
effet,
il n'y aurait pas de garantie qu'un éditeur particulièrement doué
ne s'approprie un logiciel libre, lui donne un graphisme soigné et
quelques fonctionnalités intelligentes en plus et ne récrée ainsi
chez le consommateur final la dépendance à sa solution que l'on
retrouve dans les logiciels non libre. C'est l'exemple éclatant de
Mac OS X basé sur le système libre BSD.
Sans licence copyleft,
enfin,
le
monde du logiciel libre pourrait ne devenir qu'une vaste chambre de
compensation de l'informatique où chaque professionnel apporte un
bout de son code et repart ensuite de son côté pour vendre sa
solution au consommateur final.
Les licences libres copyleft répondent-elles
totalement aux deux objections précédentes ?
Elles ne résolvent évidemment pas la question de la barrière
techniques mais elles ont l'immense mérite de mettre à bas toutes
autres barrières qui sont particulièrement indues : brevets
logiciels, licences abusives, verrouillage numérique et autres
contrats léonins.
L'existence de cette barrière
technique pose en réalité la question fondamentale de la
responsabilité des informaticiens vis à vis du reste de la société.
L'informatique a pris en quelques années une place immense aussi
bien dans la vie quotidienne que dans la vie économique. Les
informaticiens sont détenteurs d'un savoir et d'une compétence qui
leur donne un pouvoir exorbitant. Les licences copyleft sont un début
de réponse à cette responsabilité sociale mais c'est un chantier
ouvert où beaucoup reste à faire.
En résumé, avec les licences copyleft,
le logiciel libre s'inscrit pleinement dans l'ESS du
fait de la réalisation des trois objectifs suivants :
-
promouvoir le travail humain :
la
rémunération va au service (développement, documentation, formation) et
non à la rente
-
établir le dialogue
producteurs-utilisateurs : interdiction de toute captation indue par un
intermédiaire
-
favoriser l'échange des savoirs
:
l'ouverture du code source le rend accessibles à tous ceux capables de
lire