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transcriptions - Re: [Transcriptions] table ronde politique 1ère partie...

Objet : Transcription de fichiers son ou de videos de conférences (liste à inscription publique)

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Re: [Transcriptions] table ronde politique 1ère partie...


Chronologique Discussions 
  • From: Benoit Sibaud <bsibaud AT april.org>
  • To: transcriptions AT april.org
  • Subject: Re: [Transcriptions] table ronde politique 1ère partie...
  • Date: Sun, 6 Dec 2009 23:53:03 +0100

Bonjour,

On Sat, Oct 10, 2009 at 01:01:02AM +0200, Magali tite wrote:
> la vidéo se trouve à l'adresse suivante :
> http://www.april.org/fr/conferences-et-interviews-lors-des-rencontres-mondiales-du-logiciel-libre-2009
>
>
> Transcription des 35 premières minutes... (qui demande peut-être une
> relecture, les parties en gris ne sont pas indispensables à mon avis)

merci Magali. Version relue en pièce jointe.

Librement,

--
Benoît Sibaud
Intervenants :

- Benjamin Bayart
- Alix Cazenave
- Tanguy Morlier
- Jérémy Zimmermann


Benjamin Bayart : Le thème de la table ronde politique de cette année est
la net-neutralité et la liberté d'expression sur internet. C'est au cœur de
l'actualité politique en ce moment pour les différents combats qui nous
concernent.

Dans la mesure où la neutralité du réseau n'est pas forcément limpide, on
a
décidé que je commencerai par vous expliquer ce que c'est. Donc je vais
passer une bonne vingtaine de minutes à essayer de le faire et vous allez
voir que ce n'est pas facile à définir.

Le premier morceau que je vais essayer de faire va être une définition de la
neutralité du réseau ; je pense que vous ne serez pas satisfaits des bouts
de définitions que j'apporte, qui pour nous informaticiens geek-libristes
parlent un peu, mais qui pour le grand public sont infernales à expliquer.
Du coup, je prendrai quelques exemples qui seront plus simples à maîtriser
et qui permettront de repérer où on va. S'il y a des gens qui voient des
liens avec le minitel 2.0 dont je parlais il y a deux ans, ils ont bon.

Ensuite on essaiera de situer ce qu'est la neutralité du réseau, en
particulier parce que ce n'est pas une liberté, c'est autre chose.

Alors, on va commencer par la définition. Je précise bien, c'est une
tentative de définition. *(les transparents ont été faits ce matin à
l'arrache au milieu de la cafétéria avec les gens qui parlaient autour, donc
s'il y a des fautes d'orthographe c'est de ma faute et j'assume. Je sais
qu'il y a des fautes d'orthographe).*

Alors une première façon de définir la neutralité du réseau c'est de
dire :
« on route le trafic sans tenir compte du contenu ». C'est à dire qu'on n'a
pas à regarder les données qui sont dedans, on transporte les paquets en
fonction de la source et de la destination. C'est une première façon de le
définir qui est relativement satisfaisante car elle est facile à expliquer
à
un informaticien, elle est affreuse à expliquer à ma belle mère.

Et puis surtout, elle n'est pas vraie, je peux très bien router sans tenir
compte du contenu et faire en sorte que quand c'est à destination de
quelqu'un que je n'aime pas, je perde un paquet sur deux. Je n'ai pas
regardé ce qu'il y a dedans.

Cette définition là n'est pas suffisante, elle ne donne qu'une première
idée.

2) Une deuxième idée c'est de dire justement : « on ne peux pas
privilégier
une adresse ». Il n'y a pas un endroit vers lequel je route sans perdre de
paquets et un autre endroit vers lequel je route en perdant des paquets.
Dire je ne privilégie pas une adresse.

On peut penser que c'est une définition un peu plus convenable sauf que, on
peut ne pas privilégier une adresse et privilégier un protocole , exemple :
« Skype je n'aime pas ça, alors j'empêche Skype de passer » ou « Jabber
c'est pas bien, je laisse passer MSN et je ne laisse pas passer Jabber ».
Pourtant je n'ai pas privilégié une adresse, et je n'ai pas regardé le
contenu, j'ai juste regardé les numéros de port.

3) Autre définition : « ne pas privilégier un protocole ». On sent bien
que
si on reste sur cette définition - je ne privilégie pas un protocole - je ne
dis pas que pour faire du téléphone, il vaut mieux tel protocole que tel
autre, pour faire du web il vaut mieux telle méthode que telle autre.

Il reste quand même qu'il faut les deux définitions précédentes sinon on
ne
s'en sort pas. Parce que si je ne privilégie aucun protocole mais que je
regarde ce qu'il y a dans le contenu pour décider si on laisse passer ou
pas, on n'a pas bon.

4) « Ne pas porter atteinte au contenu ». C'est presque la définition la
plus évidente parce que si j'ai envoyé un message et qu'il arrive, il est
prié d'arriver intact.

Essayer de définir la neutralité du réseau c'est un peu de ces quatre
points
là. C'est plus compliqué que ces quatre points là et tout mon problème
quand
je vous l'explique comme ça, c'est que je n'ai que des définitions
négatives. C'est très compliqué d'essayer de vous dire en une phrase ce
qu'est la neutralité du réseau en une définition positive.

La définition ce serait de dire que le réseau transporte les données.
Point.
Il n'a pas à faire plus que de les transporter. Il ne présente pas
d'intelligence, il transporte des données. C'est dire que le réseau internet
doit se comporter vis à vis des données qui s'échangent dessus exactement
comme un tuyau se comporte vis à vis de l'eau. Il ne regarde pas de quelle
couleur est l'eau, elle rentre, elle sort. Point.

Pourquoi est-ce que je vous embête avec cette question de neutralité du net,
on y viendra plus loin, parce que c'est un point relativement central sur
pas mal de sujets. On verra que ça touche à beaucoup de choses.

Il y a plusieurs endroits en matière de droit, où on en parle, mais toujours
de manière très peu satisfaisante.

D'abord, historiquement, c'est quelque chose qui est toujours très vieux
puisqu'on parlait déjà de neutralité du transporteur pour la poste. Si vous
reprenez les quatre éléments que j'évoquais, ils s'y appliquent assez bien.
Elle n'a pas le droit :

- de lire le courrier pour décider si elle va le distribuer.
- de distribuer en fonction de ce que raconte la lettre,
- de privilégier une adresse par rapport à une autre.

Donc c'est une notion qui est ancienne, la notion de neutralité du
transporteur.

C'est cité dans les codes, en particulier en droit français dans le code des
postes et communications électroniques autour de l'article L32.1, si ma
mémoire est bonne. C'est super court, c'est en une demie ligne, il est dit
que « les opérateurs sont contraints à une neutralité absolue sur le
réseau ».

Cela ne dit pas ce que c'est, ça dit juste que les opérateurs doivent le
respecter. Donc c'est une définition qui est faible et il n'y a bien
évidemment pas de jurisprudence là-dessus.

Au niveau européen, à ma connaissance, dans les directives actuelles, il n y
a rien qui définisse ce qu'est la neutralité du réseau, et dans les
directives en cours de discussions dont on aura l'occasion de parler, il y
en a beaucoup qui essaient de la définir, qui essaient de dire que le réseau
reste neutre même si on fait n'importe quoi.

C'est la partie du paquet télécom sur laquelle on s'est le plus battus. A
l'international, car il faut comprendre que ce débat n'est pas que local :
il a commencé aux États Unis. Basiquement les Américains ne s'en sont pas
sortis. Il n'y a toujours pas de textes aux États Unis qui définisse ce
qu'est la neutralité du réseau et à quel point il faut la respecter. Ils
ont
très courageusement botté en touche en voyant que l'Europe travaillait
dessus et se sont dit : « on va attendre patiemment qu'ils sortent des
textes pour s'en inspirer. »

Donc pour le moment, une des raisons pour lesquelles il y a beaucoup
d'enjeux sur ce sujet aux parlements européens et français c'est parce que
les Européens sont en train de définir un mode de fonctionnement politique
et que s'il est défini de manière claire et forte, il prendra du poids au
delà de l'Europe.

Quelques exemples qui vont aider à comprendre pourquoi c'est important. Le
premier morceau c'est comprendre des choses qui ne sont pas complètement de
l'altération de contenu, ce sont des cas de filtrage que l'on connaît et des
cas de mensonge, de réseau menteur.

Le classique c'est l'anti-spam, vous n'y faites pas forcément beaucoup
attention mais pour ceux d'entre vous qui y font gaffe la majorité des
opérateurs grand public de nos jours commencent à filtrer le port 25. Je ne
sais pas si ça parle à tout le monde : cela vous empêche d'avoir un serveur
mail chez vous. Le but, il est très clair, c'est d'empêcher les Windows, qui
sont tous crevés de spyware, malware et autres choses bizarres, d'envoyer du
spam sur la planète entière. Sauf que, du coup, le réseau n'est plus
neutre,
votre ordinateur, n'ayant pas le droit d'envoyer de mail, est moins égaux
que les autres.

C'est une première atteinte. Elle est parfois bénigne puisque vous pouvez,
chez certains opérateurs, désactiver ce filtrage, mais c'est une atteinte.
Et quand on ne peut pas le désactiver, c'est une atteinte anormale.

L'autre exemple qui relève du mensonge et que j'appelle pro pub, c'est le
fait de mettre des DNS menteurs. Mettre des serveurs de noms de domaine qui
font que quand vous demandez un nom de domaine qui n'existe pas, ils
renvoient une réponse. Le domaine n'existant pas, ils devraient répondre :
n'existe pas. Pourtant on voit de plus en plus souvent chez les opérateurs
des serveurs de noms de domaine qui quand on tape n'importe quoi répondent
« ah ça existe, c'est là, c'est chez moi ». Ça, ça sert à diffuser de
la
pub, car vous tombez sur un portail qui en fonction de ce que vous avez
demandé fait des bouts de recherches et vous refourgue de la pub. Bien
évidemment on les contourne, quand on n'a pas envie de les avoir, en
utilisant des DNS normaux.

On voit apparaître maintenant, pas encore en France, mais il y a quelques
expérimentations aux États Unis, en particulier Comcast, qui fait des tests
pour vous empêcher d'utiliser un autre DNS que le leur. Vous avez fait de
l'anti-pub en sortant de ça, ils font de l'anti-anti-pub en filtrant et en
vous empêchant de faire des requêtes ailleurs que chez eux.

Tout cela sont des atteintes à la neutralité des réseaux, car si vous
regardez, ça viole un des quatre principes que j'ai cités tout à l'heure.
Soit ça altère le contenu quand ça ment, soit ça vous empêche certaines
communications, interdire un protocole c'est privilégier tous les autres, à
chaque fois on tombe dedans. Tout ça ce sont des choses qui se pratiquent en
France.

Le peer to peer, c'est l'exemple classique : les opérateurs s'arrangent sur
les liaisons qui leur coûtent très cher. Par exemple ils câblent les
liaisons adsl non dégroupées pour filtrer le peer to peer de manière à
sauvegarder un peu d'euros en payant un peu moins de bande passante. S'ils
vous vendent des connections illimitées qui font en sorte que vous ne vous
en serviez pas sur les protocoles qui leur coûtent cher, c'est une atteinte
à la neutralité du réseau.

Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d'utiliser les connexions réseau
sans fil, typiquement connexion 3G pour faire de la téléphonie, y a pas de
raison c'est de l'IP, ça devrait marcher. Si je lance Skype, je devrais
pouvoir téléphoner sur ma connexion illimitée 3G++, premium chère.

Et bien cela ne marche pas, c'est filtré. Ça c'est une atteinte très claire
à la neutralité du réseau, et si on essaie de l'exprimer en terme non geek,
c'est une atteinte très forte au principe de concurrence libre et non
faussée, puisque Skype est un concurrent de vos marchands de téléphonie
habituelle et ils empêchent les concurrents de vivre. Même pour les plus
farouches défenseurs de la concurrence libre et non faussée et du tout et
n'importe quoi sur les réseaux, c'est assez curieux comme approche.

Là où on touche le fond, c'est très clairement sur tout ce qui se passe sur
les abonnement GSM. Si vous regardez ce que l'on vous vend sous le nom
d'internet chez les opérateurs de téléphonie mobile, ça ressemble à tout
ce
que vous voulez sauf à du réseau neutre. En fait, ils n'en sont plus à
essayer d'empêcher deux ou trois protocoles qui ne leur plaisent pas, ils en
sont à choisir une liste de sites web que vous avez le droit de visiter, à
choisir une liste de protocoles et d'applications que vous avez le droit
d'utiliser.

Si vous lisez toutes les petites lignes de l'internet illimité, vous allez
voir que vous avez le droit à très peu de choses. A l'heure actuelle, si
j'en crois le code des postes et communications électroniques en droit
français, tout cela est illégal. C'est illégal sans que le code en question
ne prévoit de sanction. Un opérateur qui fait ça, moi j'ai eu beau
chercher,
il n'y a pas de sanction pénale, il n'y a pas de sanction civile, il n'y a
pas de sanction commerciale. C'est très vide. En fait, la seule sanction qui
existe, c'est que l'autorité de régulation pourrait décider qu'ils ne sont
plus opérateurs. Mais ça n'aura jamais lieu, jamais l'autorité de
régulation
va décider que SFR n'est plus un opérateur mobile sous prétexte qu'ils ont
filtré Skype. Donc en fait, c'est un délit en droit français qui n'est pas
sanctionné.

L'autre morceau assez classique, c'est celui que j'appelle la protection de
revenus. Au départ, un fournisseur d'accès à internet, un opérateur de
réseau, passe un accord de partenariat avec quelqu'un qui vend du contenu.
Par exemple une société qui vend de la vidéo à la demande sur internet
passe
un accord de partenariat avec l'opérateur. Ils font des publicités communes.
Puis comme dans tous les accords de partenariat, il y a de la revente, du
reversement. A chaque fois que l'opérateur X aura réussi à envoyer certains
de ses clients regarder des films chez son partenaire, celui-ci lui
reversera 5% de commission en tant qu'apporteur d'affaires.

Et puis à force d'être un partenariat, il devient un partenariat
privilégié.
C'est à dire que finalement pour s'assurer que mes abonnés vont bien aller
chez le marchand de vidéos avec qui j'ai un partenariat, je vais faire en
sorte que ça marche mal chez les autres. Curieusement je vais perdre des
paquets à ces endroits là.

Ça se pratique, ça ne se dit pas mais ça se pratique. Je l'ai vu chez
différents opérateurs chez lesquels j'ai travaillé. En fait, on ne perd pas
les paquets, on fait en sorte de ne pas optimiser les routes, on sait que
cela passe par des liens qui sont un petit peu saturés mais comme ce sont
des liens sur lesquels ça ne rapporte pas de business, on n'est pas pressé
de les remplacer.

Il y a bien évidemment les questions d'entrave à la concurrence. Chez les
libristes, la concurrence libre et non faussée n'est pas toujours quelque
chose qui paraît positive. Mais la concurrence libre et non faussée, c'est
une idée qu'on peut utiliser quand on se bat contre les gens du propriétaire
: en disant qu'ils n'ont pas le droit de fermer les données des gens, parce
que c'est une entrave à la concurrence, qu'ils n'ont pas le droit d'empêcher
l'interopérabilité parce que c'est une entrave à la concurrence. Quelque
part la liberté de choix, en termes politiques européens, ils appellent ça
la concurrence.

Et c'est ça qu'on défend, nous. Typiquement quand SFR, Orange ou Bouygues
empêchent Skype de travailler sur le réseau IP mobile, c'est de l'entrave à
la concurrence. Parce qu'ils n'empêchent pas que Skype, ils empêchent FDN de
le faire. Si nous, on a envie de monter un service de téléphonie, les gens
peuvent utiliser ce service de téléphonie de FDN depuis n'importe quel
accès
sauf un accès mobile. Pourquoi ? On ne sait pas. Comment cela peut être
légal ? Ben ça l'est pas et puis de toute façon on peut toujours aller
faire
un procès, on aura rien.

L'étape immédiatement après, c'est de rendre les clients captifs. C'est de
faire en sorte que finalement plutôt que de s'emmerder à faire un
partenariat avec un marchand de vidéos, on va monter un service de vidéos à
la demande. Si vous voulez voir des mangas en japonais achetés directement
sur un site qui vend ça au japon, on va vous en empêcher. Vous n'allez
pouvoir acheter que les vidéos qu'on voudra bien vous diffuser sur votre
chose-box. Ça c'est pas encore fait, mais ça nous pend au nez. Quand il y a
des négociations un peu musclées entre certains opérateurs et Dailymotion,
l'idée sous-jacente c'est bien celle là. C'est dire, nous on vous vend de la
vidéo, vous n'avez qu'à venir regarder ce qu'on veut bien vous vendre.

En droit, il y a aussi quelques exemples intéressants. Donc c'est interdit
comme je l'ai dit, bien évidemment pas de sanction, c'est une interdiction
qui est toute virtuelle. La net discrimination, c'est ce qu'on a croisé dans
le paquet telecom pendant les négociations au parlement européen. Il y a des
tentatives de faire passer des choses très malsaines, au niveau des
directives, autorisant tous les filtrages et sous quelques conditions pas
très contraignantes. En fait l'idée c'est que puisque tous les opérateurs
ont envie de le faire, et le font, autant les y autoriser.

Il y a le problème de l'accès à l'information. En droit, la liberté
d'accéder à l'information existe, cela a été rappelé récemment, on aura
l'occasion d'en discuter. Le fait de porter atteinte à la neutralité du
réseau, ça porte atteinte à la façon dont vous pouvez choisir
l'information
à laquelle vous accédez.

*Tiens je ne sais plus ce que c'était ça... Pourquoi j'ai écrit ça dans
mon
transparent? (blanche) Quand je vous ai dit que je ne l'avais pas préparé.
Voilà, il y a quelqu'un qui suit à ma place.*

La suite de ça, c'est la liste blanche. Je ne sais pas si vous vous souvenez
de ce grand moment de rigolade dans le début des débats sur Hadopi, à
l'Assemblée. Christine Albanel qui proposait que le gouvernement sorte une
liste blanche des sites web autorisés. Au XXIème siècle, en France, un
ministre de la République qui propose que le gouvernement sorte une liste
blanche des sites web qu'on a le droit de lire... ahurissant ! C'est pas un
zozo, un directeur marketing, c'est un ministre de la République qui a
proposé ça devant une commission parlementaire et qui s'est même pas fait
lyncher. Dans la presse, si un peu, mais à la Commission c'était plutôt
calme.

Donc voilà, en droit pour le moment on en est là, c'est à dire qu'on en est
à ce qu'officiellement c'est interdit et puis dans la pratique tout le monde
le fait. Et il y a énormément de travail législatif fait pour l'autoriser.

Du coup, si on essaie de situer ce qu'est la neutralité du réseau,

- ce n'est pas la liberté d'expression mais on voit bien que ça y touche
:
si le réseau n'est plus neutre je ne peux plus héberger mes propres
contenus. On est en train de commencer par le mail, mais il est évident
que
l'étape d'après, c'est qu'on aura plus le droit d'héberger nos serveurs
web,
donc on aura plus le droit de s'exprimer.
- ça n'est pas la liberté d'expression, mais il y a un gros bout de la
liberté d'expression qui y est adossé.
- ça n'est pas la liberté d'information et la liberté d'accès à
l'information, cependant là aussi il y a un gros bout qui est adossé
dessus.
- ce n'est pas la libre concurrence, la libre concurrence existait avant le
réseau. On sent bien qu'il y a quelque chose qui fait que la neutralité
du
réseau joue un rôle clé dans la libre concurrence, et donc dans le
droit de
choisir ce qu'on fait dans notre vie numérique. Cependant, c'est aussi
adossé dessus.

Il y a un impact numérique colossal. Le numérique représente un poids
économique très lourd. Les réseaux non neutres, on sait ce que cela donne
en
terme d'économie : des choses qui ne marchent pas ; cela donne des modèles
économiques qui se sclérosent puis qui s'effondrent exactement sur le
modèle
du minitel. La neutralité d'internet est une des sources de croissance,
c'est une des sources d'innovation. S'il y a de nouveaux services c'est parce
que cinq gus dans un garage ont le droit de monter un service qui fait
concurrence aux gros, que ce soit un service politique ou technique. Donc il
y a un impact économique très fort.

Il y a un impact sociétal très fort, on sent très bien qu'internet est en
train de tranquillement, petit à petit, remodeler la société dans laquelle
on vit. Et on sent bien qu'un internet pas libre, cette espèce de minitel
moderne qu'on essaie de nous vendre, ne modèlerait pas la société de la
même
manière.

Donc choisir la façon dont on traite le réseau, choisir si le réseau est
neutre ou si le réseau est filtré, ne donne pas le même modèle de
société à
la sortie. En soi, ce n'est pas une liberté fondamentale et pourtant, on
sent bien qu'il y a quelques très gros morceaux qui sont adossés dessus.

*Je ne sais plus en discutant avec qui, *c'est un peu comme la séparation
des pouvoirs. En soi, la séparation des pouvoirs, le fait qu'on ne mélange
pas l'exécutif, le législatif et le judiciaire, c'est pas une liberté, mais
il se trouve que tous les endroits où on mélange les trois sont des endroits
où on n'est pas libre. Et que tous les endroits où on arrive à préserver
la
séparation des trois, sont des endroits où il y a une certaine liberté, une
certaine démocratie. Et donc c'est pas en soi une liberté fondamentale, mais
c'est visiblement un principe sur lequel s'adossent un grand nombre de
libertés. Et il semble qu'à l'époque du numérique, la neutralité du net
joue
un rôle de ce type là. Ça n'est pas en soi une liberté fondamentale, mais
ça
joue un rôle clé. Et donc c'est pour ça que j'ai souhaité qu'on prenne cet
axe là pour organiser la table ronde politique.

*On va pouvoir passer au sujet lui même maintenant.*

*Dans ce dont j'ai prévu qu'on puisse parler*

*On va parler essentiellement de cinq sujets qui s'articulent tous entre
eux. Dans l'actualité politique, il y a eu beaucoup de morceaux cette année
autour des questions de neutralité du réseau. Il y a un point sur lequel on
est super mal préparé, *on avait demandé, évidemment, et on a fait pas mal
de forcing, à des politiques de venir, puisque c'est la tradition
normalement sur les tables rondes politiques. Cette année, ils ne sont pas
venus ; pour diverses raisons : pour certains d'entre eux parce qu'ils sont
en train de s'occuper du travail du dimanche à l'Assemblée ; pour d'autres,
pour d'autres motifs. Il y a une députée, très particulière, Martine
Billard, ceux qui ont suivi les débats, que ce soit sur DADVSI ou sur Hadopi,
la connaissent. On l'a rencontrée jeudi dernier et on est donc revenu avec
ses réponses aux questions que l'on se posait. On va essayer de les diffuser
au fur et à mesure des débats. *Par contre, là où on a été moyennement
brillant, c'est que j'ai des fichiers qui portent des numéros et pas les
bonnes questions et donc je risque de cafouiller un petit peu. Mais bon on
verra bien, au début de la vidéo, il y a la question, donc si on sent que
c'est pas la bonne, il faudra zapper, ce sera la minute ridicule.*

Dans les cinq sujets que nous allons traiter, nous allons commencer par le
premier. Je vais commencer par d'abord faire des choses polies. On va se
présenter, on va faire ça de gauche à droite : Tanguy Morlier, je te laisse
te présenter tout seul.

Tanguy Morlier : je représente ici l'initiative deputesgodillots.info.
L'objectif de ce travail était l'étude de comportement de certains députés
en hémicycle, que l'on a notamment remarqués durant Hadopi, mais aussi sur
d'autres textes.

Jérémy Zimmermann : je suis co-fondateur et porte-parole de la Quadrature du
net, qui est avant tout un garage et une manufacture d'adresses ip, dont
vous avez peut-être entendu parler autour de la loi Hadopi ou du paquet
télécom européen. Plus sérieusement nous sommes une caisse à outils pour
permettre au citoyen de comprendre les processus législatifs, mais aussi de
mettre un pied dans la porte de ce processus, en quelque sorte de remettre
le citoyen au cœur du débat politique. C'est intéressant que cette année
si
riche en rebondissement, se trouve celle où il n'y a pas de politique à la
table ronde politique mais des citoyens. Parce que c'est justement une année
où des citoyens se sont bougés pour reprendre la politique. Pour refaire la
politique à son sens initial, qui est celui de citoyens qui s'intéressent à
la vie de la cité. Et c'est précisément ce qu'on a démontré au sein de la
Quadrature du net, et ce qu'on démontre tous les jours par notre action au
réseau.

Benjamin Bayart : président du FDN (French Data Network, fournisseur d'accès
internet)

Alix Cazenave : je suis chargée des affaires publiques à l'April. Pour ceux
qui ne connaissent pas encore, l'April est la principale association pour la
promotion et la défense du logiciel libre, la plus importante en France, la
plus ancienne aussi. C'est nous qui sommes intervenus sur la loi Hadopi pour
tout ce qui concernait les mouchards filtrants, dont on va inévitablement
parler tout à l'heure, et on pourra faire également le parallèle avec
d'autres problématiques comme l'informatique de confiance et les DRM
(Digital Rights Management, verrous numériques) qui sont des sujets dont on
parle depuis un peu plus longtemps.

Benjamin Bayart : Je propose que pour commencer, on laisse la parole à
Martine Billard afin qu'elle aborde les conditions dans lesquelles se sont
déroulés le débat sur Hadopi et ceux sur internet. Car à chaque fois que
les
députés touchent des sujets sur internet, il se passe des choses bizarres
auxquelles ils ne sont pas habitués.

Martine Billard : Ce qu'il faut savoir, c'est que tous les textes de tous
les projets de lois qui viennent en débat à l'assemblée nationale,
n'entraînent pas autant de travail, ni de mobilisation. Il y en a qui
passent un peu dans l'indifférence générale.

Les textes concernant internet ont cette spécificité qu'ils mobilisent
effectivement ce qu'on appelle des internautes, ce qui est peu le cas sur
d'autres textes. Et ça modifie de fait les conditions et les modes de
travail des parlementaires. Concrètement, la grosse différence que j'ai
vécue en tant que député, que ce soit pour DADVSI ou Hadopi, c'est que les
internautes nous envoient des textes, des argumentaires, des exemples, ce
qui fait que le député qui le souhaite peut effectivement ensuite construire
1) ses amendements, les modifications qu'il propose au texte, de façon très
précise et très concrète et 2) son argumentaire de façon aussi très
précise
et très concrète. Je dirai que c'est très satisfaisant en tant que député
parce qu'il y a des fois où on fait des discours un petit peu généraux
alors
que là sur ces textes, on peut avoir à la fois une réflexion philosophique
sur la culture, sur les droits d'auteur, une approche juridique sur la
manière dont le texte est construit juridiquement ; et une approche sur
internet en tant que tel, en tant qu'outil.

C'est vrai qu'on n'aurait pas cette possibilité d'expertise en tant que
député s'il n'y avait pas toute cette aide extérieure qui nous est
apportée,
en plus en temps réel, tout en sachant que pour ce qui est du passage du
texte Hadopi, nous avons maintenant le droit dans l'hémicycle de l'Assemblée
nationale d'avoir un ordinateur, mais nous n'avons pas le droit que cet
ordinateur soit connecté au réseau. C'est assez peu utile finalement, c'est
assez significatif, cela rejoint le débat internet : cette peur de
l'intrusion de l'extérieur, cette peur que, finalement, les citoyens fassent
pression sur leurs élus. Pourtant, en tant que parlementaire, nous n'avons
pas de mandat impératif : nous sommes élus comme candidats de partis
politiques, pratiquement personne n'arrive à se faire élire sur son nom.
Heureusement d'ailleurs : il faut être élus sur des idées, sur des
propositions.

Nous n'avons pas de mandat impératif dans ce sens où nous pouvons voter et
défendre nos arguments en notre âme et conscience. Et c'est vrai que le fait
d'avoir toute cette aide fait peur, puisque cela permet du coup, justement,
de débattre, de voter en son âme et conscience, de ne plus être soumis à
son
groupe politique. Et je trouve que les débats sur internet sont
significatifs de ce point de vue sur la peur de la transparence. Alors, peur
de la transparence du fait que les députés, en étant interpellés par les
citoyens par l'intermédiaire d'argumentaires, de contre-expertise, de
réponses quasi-immédiates dans les débats. Là-bas (dans l'hémicycle) on
n'est
pas en ligne, donc cela suppose que les mails qui nous arrivent en bureau
sont souvent ensuite ramenés lors des séances. Mais imaginez, quand on
pourra être connectés pendant les séances en ligne, on pourra dans ces
moments là recevoir directement dans l'hémicycle ,des exemples, des
contre-expertises, par rapport aux réponses des ministres ou du rapporteur.
Ce sera, je pense,un travail démocratique fantastique, alors que certains
ont très peur, parce le député pourrait devenir indépendant.

Je crois que c'est déjà une première leçon de ce type de débat, que l'on
rencontre peu sur d'autres débats, en tous cas, pour le moment. Sur le
contenu de la voix elle même, je crois que grâce, justement, à tous ceux
qui
nous ont apporté leur participation, que ce soit la Quadrature du net,
l'April ou d'autres associations, les revues en ligne, Télérama, PC INpact,
qui nous ont aussi beaucoup aidés et les internautes individuels, je crois
que par cette aide, nous avons pu finalement déstabiliser la majorité
gouvernementale. Des députés qui venaient voter comme un seul homme, comme
une seule femme, se retrouvent interpellés par les arguments qu'ils
entendent, par le fait que eux aussi, ils reçoivent des mails, et tout d'un
coup, se posent des questions. Ces questions sur le texte de loi, sont
autour du fait qu'on puisse couper la connexion internet sans décision de
justice, ce qui est quand même énorme. Ça a interpellé un certain nombre
de
parlementaires, au delà de ceux qui étaient opposés globalement sur la loi.
Sur le fait aussi qu'il y a eu des expressions significatives de députés de
la majorité : « si en plus on est obligé de comprendre la technique, c'est
vraiment fatigant qu'on nous oblige à nous poser des questions à partir de
la technique ». Parce que effectivement si on se pose ces questions sur la
technique, qu'est-ce que permet la technique, du coup les certitudes
tombent. Puisque, et c'est ce qu'on a essayé de faire dans l'opposition,
démontrer que ce qui pouvait paraître simple sur la preuve du
téléchargement, ne se tenait pas. Il n'y a aucun moyen de prouver qu'il y a
téléchargement sauf enquête de police, avec saisie de matériel, à
domicile,
et dans un délai très rapproché du fait de téléchargement abusif commis.

Donc, pour les députés qui ne voulaient pas se poser de question, c'était
très douloureux d'écouter cela. Parce que, qu'ils le veuillent ou non, ils
n'avaient pas de contre-arguments pour démontrer que finalement, il n'y
avait pas de problème technique. Et ces deux arguments qu'on a soulevé :

- le fait qu'il devait qu'il y ait une autorité judiciaire qui soit saisie
pour une coupure internet,
- et qu'on ne pouvait pas partir de la présomption de la culpabilité d'un
internaute, puisqu'il fallait qu'il y ait la preuve de ce téléchargement
abusif pour pouvoir condamner.

Ce sont les deux éléments qu'a retenus le Conseil constitutionnel, le fait
que la coupure internet soit décidée par un juge, et le fait que la
présomption d'innocence ne permette pas d'accuser a priori un internaute
d'avoir téléchargé.

Je crois que finalement ce débat internet, et cette décision du conseil
constitutionnel qui a suivi suite à la saisie par l'opposition
constitutionnelle, est une grande avancée en terme de droit, parce qu'elle
réaffirme la présomption d'innocence, la nécessité du passage par
l'autorité
judiciaire, et c'est très important, parce que la ministre et le rapporteur
Frédéric Lefebvre ont passé leur temps à expliquer qu'internet n'était
pas un
droit fondamental.

Aller au conseil constitutionnel en disant aujourd'hui qu'internet est
devenu un droit fondamental, au regard du droit à l'information, du droit à
l'éducation, du droit à la liberté d'information est, je crois, une
décision
vraiment très importante ,et cela va bien au delà, finalement, de la loi
Hadopi elle même, puisque cela permet, par rapport à toute tentative à
venir
de vouloir corsetter internet, de mettre des limites.

C'est vrai que dans le débat, on a beaucoup entendu aussi cette volonté de :
« corsetter internet, finalement internet c'est une liberté dangereuse par
rapport à la culture, et dangereuse de manière générale ». C'est la
façon de
réfléchir, qui est portée par nombre de députés UMP, qui est une façon
de
réfléchir antédiluvienne parce qu'aujourd'hui, c'est un outil très
spécifique, et vouloir mettre des barrières à internet est totalement
absurde. Je crois qu'on a bien réussi dans ce débat à le démontrer.



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