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educ - Re: [EDUC] Droit et internet scolaire

Objet : Liste de discussion du groupe de travail Éducation et logiciels libres de l'April (liste à inscription publique)

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Re: [EDUC] Droit et internet scolaire


Chronologique Discussions 
  • From: "eric.finance" <eric.finance AT ac-creteil.fr>
  • To: educ AT april.org
  • Subject: Re: [EDUC] Droit et internet scolaire
  • Date: Mon, 01 Jun 2020 03:28:52 +0200
  • Importance: normal
  • Savedfromemail: eric.finance AT ac-creteil.fr

Bonsoir Vincent,

Je ne peux que souscrire à et signer des deux mains, si tant est que vous m'y autorisiez, ces trois remarques pleines d'esprit critique, de lucidité et de discernement qui sont, au demeurant, fort bien écrites.

Car enfin oui, le langage du multimédia, cela ne s'improvise pas et oui aussi, produire un contenu intéressant, pertinent et adapté à une situation de télé-enseignement prend énormement de temps et des compétences que très peu d'entre nous maîtrisent. Pas moi en tout cas et, à ma connaissance, pas un seul de mes collègues là où je professe.

Oui encore, et c'est un témoignage de mon actualité immédiate, la raison qui a été donnée pour justifier que certains collègues se mettent à "zoomer" deux à trois fois par semaine ne tenait, selon eux , qu'à la necessité de "remettre du cadre" dans la journée des élèves qui "dormaient encore à 16H30" et ne rendaient pas leur devoirs écrits (j'enseigne dans le 9.3).

Certains d'entre eux, soutenus en celà par leur direction, ont donc franchi en toute bonne conscience et la fleur au fusil, le rubicon de la vie privée de leurs élèves et de leurs familles en s'autoproclamant "co-parents" (il paraît que nous étions déjà co-éducateurs) des enfants dont ils estimaient les naturels géniteurs par trop défaillants.

Donc oui toujours, les "cours" en visioconférence n'ont d'autre objectif que celui d'être des instruments de contrôle de "l'assiduité" d'enfants qui ont l'impudence de mener la vie qu'ils veulent au domicile de leurs parents qui en sont légalement responsables.

Ironie de l'histoire, ce qui devait ramener les marmots devant leur webcam à heure fixe ne "marche" pas non plus ! Je vois donc passer les mails des 1ers de la classe qui sonnent le rappel (à la demande de leurs profs, sans doute très décontenancés par tant d'audace) de leurs camarades indisciplinés qui ont préféré "jouer à la play" ou dormir plutôt que de jouer les poupées de cire sous l'oeil des Big-Brothers de la pédagogie "distancielle".

Édouard, mon pas-pote de droite, a déclaré, non sans une certaine gravité, que cette "épreuve allait nous permettre de voir surgir le meilleur mais, hélas, peut-être aussi le pire de notre société".

En matière de "télé-pédagogie", je crains que le pire ne domine largement les débats et j'attends donc toujours que le meilleur "surgisse". Comme pour les masques et les tests PCR, il "faudra-faire-le-bilan-quand-cette-crise-sera-passée" mais elle sera passée et c'est ça qui compte pou nos "responsables" et "gouvernants". N'est-ce pas ?

Qu'en restera-t-il ? Le spectacle affligeant d'une société technologiquement outrecuidante, toute boursoufflée d'elle-même, de sa croyance inoxydable dans sa parfaite maîtrise des choses et des gens, mise aux arrêts de rigueur du jour au lendemain par quelques micromètres d'ARN, lançant aux trousses des "décrocheurs" des hordes de pédagogues déboussolés armés de leur seul "Zoom", explorant l'infini de la Matrice pour ramener leurs sujets ectoplasmiques entre les murs de leurs classes virtuelles. Père Ubu a aussi son avatar dans le cyberespace.

Bien librement.
E.F


-------- Message d'origine --------
De : linux AT cvgg.org
Date : 31/05/2020 19:50 (GMT+01:00)
À : educ AT april.org
Objet : Re: [EDUC] Droit et internet scolaire

Bonjour,

Ce petit message pour vous remercier de ces informations très intéressantes. En ces temps de Covid, on se croît vite esseulé dans ses analyses, surtout quand le virus de la vidéo s'abat sur les enseignants.

J'aimerais aussi prendre position par trois remarques.

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Tout d'abord, concernant la vidéo et l'écrit. Avant le Covid, beaucoup d'enseignants marquaient une attitude critique concernant le recours « systématique » des élèves à YouTube. Non pour des raisons de protection des données, mais parce que ce moyen de communication leur semblait disqualifié par l'écrit, que précisément ils enseignaient. Or, pendant le Covid, on a assisté a un véritable rush de leur part sur la vidéo. Pourquoi un tel engouement pour un moyen qu'ils décriaient précédemment ? L'explication est pour moi simple : il est beaucoup plus difficile d'écrire que de se filmer. Ce constat est intéressant, car il montre les difficultés des enseignants eux-mêmes à écrire et souligne que leur premier réflexe a été exactement le même que celui de leurs élèves en matière de communication : utiliser la vidéo comme moyen le plus facile de le faire.

Passé un moment d'euphorie, pour leurs cours les enseignants ont vite remarqué que créer des vidéos contenant plus que le simple discours qu'ils avaient l'habitude de tenir à leurs élèves, c'est-à-dire créer des vidéos ayant un contenu réellement multimédia, était très difficile, prenait beaucoup de temps et que la plupart ne maitrisaient pas les outils informatiques nécessaires pour cela. N'est pas la BBC qui veut. Les cours sont donc devenus des vidéos d'eux-mêmes singeant le présentiel et évidemment tout ce qu'ils reprochaient aux vidéos YouTube s'est retrouvé dans leurs propre pratiques.

Mais même par vidéo, faire des cours classiques n'est pas chose facile, à plus forte raison quand personne ne vous « applaudit ». L'une des réaction des enseignants a alors été de renoncer aux cours au profit de « rencontres » avec les élèves, qui soudainement sont devenues aux yeux des enseignants « absolument nécessaire pour les élèves dont le manque de contact pouvait affecter le moral ». Mais surtout, ces présentiels sont devenus l'occasion de faire ce que les enseignants savent le mieux faire : donner des leçons et du travail. Et cela leur a plu :-).

C'est donc devenu dans leur esprit un passage obligatoire auquel il fallait soumettre les récalcitrant. Là où j'enseigne, des travaux écrits notés ont été maintenus pour des raison qui mériteraient un article entier. La présence de ces évaluations a été l'occasion de justifier l'importance de voir les élèves, de voir leur visages pour évaluer leur niveau de stress. Car, pour beaucoup d'enseignants le langage des sms ou, même celui des mails, est problématique. En effet, j'ai constaté à plusieurs reprise que les enseignants ne voyaient pas dans ces textes les émotions transmises par les emoticons, par exemple, ou même par le contexte, que beaucoup n'avaient pas l'expérience nécessaire pour maîtriser des discussions de forum et qu'ils ne lisaient trop souvent qu'une partie de leurs mails. Clairement, la maîtrise des textes classiques n'implique pas celle d'autres langages, tout aussi complexes et véhicules d'émotions, comme les sms. Clairement, écrire des mails long, cohérents et structurés, leur pose problème. Mais l'évaluation du stress des élèves n'est en réalité qu'un leurre, car pour une partie importante des enseignant et des directions, le lien entre évaluations et stress n'a jamais existé. Cela se traduit dans la région dans laquelle j'enseigne par le maintient des examens immédiatement après le retour au présentiel, exactement comme si rien ne s'était passé. Cela aboutit à une situation ubuesque où les enseignants se plaignent d'un surcroit de travail précisément parce que les rencontres par vidéo prennent du temps, mais où sont niées les difficultés des élèves liées à l'enseignement à distance, pour ne pas remettre en cause les évaluations. Ainsi, plus que de donner des leçons ou même du travail, c'est à un véritable contrôle des présences sans objectif pédagogique qu'à réellement servi la vidéo.

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Ensuite, il faut remarquer que les précautions nécessaires liées à ce que j'appellerai une « violation de domicile » par l'intermédiaire de la vidéo n'ont pas été sous-estimée, elles n'ont même pas été évoquées. Chez nous, sur trois préposés à la sécurité des données, deux ont pris position contre l'utilisation de Zoom, mais aucun n'a évoqué l'enregistrement de mineurs sans l'accord de leurs parents, ni même l'enregistrement de leur parents eux-mêmes sans qu'ils le sachent, par l'intermédiaire des conférences vidéos imposées à leurs enfant. À l'évocation de ceux-ci, une timide réponse à été de parler de dommages collatéraux et surtout, tenez-vous bien, de rappeler le fait qu'il fallait laisser les enseignants libres de s'organiser. Si, pour une partie des enseignants utilisant les vidéos conférences, un refus total d'envisager ces dommages a été pleinement assumé, quelque uns ont entendu la critique et les mesures qu'ils ont alors prises méritent le détour : demander aux élèves de couper la caméra après qu'ils se soient présentés. Pas immédiatement, car cela serait avouer que la vidéo est inutile, mais après avoir dit bonjour et donc filmé son environnement personnel et éventuellement celui de ses parents. J'ai personnellement vécu des cas très problématiques où, pendant une discussion totalement privée avec mon épouse, je me suis rendu compte que l'enseignant de ma fille était présent. Si celle-ci avait été mineure, j'aurais refusé catégoriquement la vidéo, mais elle était majeure et la pression des enseignants si forte qu'il ne lui est même pas venu à l'esprit qu'elle pouvait refuser. Le pouvait-elle d'ailleurs vraiment ? Clairement non, tant la pression aux notes a été forte.

Les grands principes de protection des élèves que les enseignants ne cessent d'évoquer devant la presse sont simplement passés aux oubliettes. Le fait que la chambre d'un mineur soit un lieu privé ou l'enseignant n'a pas à mettre les pieds comme celui du droit des élèves à ne pas utiliser Team sous la pression de son enseignant ont été niés. Et il est piquant de noter que les mécanismes qui obligent les élèves à s'inscrire sur les mêmes réseaux sociaux que leurs camarades, comme le « mais tout le monde y est », ont été utilisés par les enseignants pour forcer les élèves à utiliser la vidéo alors même que ceux-ci décriaient précédemment cette enrôlement illégitime. Plus que cela, nous avons aussi assisté ébahis à la promotion et à l'utilisation dans le cadre scolaire de ces réseaux sociaux au mépris de tout bon sens.

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Enfin, il faut constater la mainmise des GAFAM dans l'éducation et sur les services techniques. Chez nous, alors que Moodle est utilisé par les Écoles polytechniques et les Universités, dans notre région, une forte promotion de Team a été réalisées par les services techniques avec la bénédiction du préposé à la sécurité des données arguant que Microsoft avait donné l'assurance de la plus parfaite probité. Quand j'ai demandé qu'il en soit de même pour Moodle, de l'email nous sommes passé à une demande de contact téléphonique et, au vu de mon exigence d'écrit, au silence complet.

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De manière très générale, aucun des aspects négatifs liés au traçage et au respect de la vie privée dans le cadre de l'enseignement à distance n'est évoqué par les enseignants avec leurs élèves. De manière générale, les enseignants se montrent énervés à l'évocation de ceux-ci et des limites qu'ils leur imposent dans le choix des outils qu'ils utilisent. Et non seulement le déficit en termes de connaissances en informatique des enseignant est très important, mais même en toute connaissance de cause, ceux-ci refusent de remettre en question leur pratiques malgré les problèmes avérés.

C'est pourquoi, je conclurai en disant que si la connaissance de la loi est une excellente chose pour oser personnellement refuser certaines pratiques, l'_expression_ de celle-ci auprès de beaucoup, pour ne pas dire de la majorité des collègues, est inutile.
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Vincent Guyot
@debian GNU linux



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