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educ - Re: [EDUC] Droit et internet scolaire

Objet : Liste de discussion du groupe de travail Éducation et logiciels libres de l'April (liste à inscription publique)

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Re: [EDUC] Droit et internet scolaire


Chronologique Discussions 
  • From: linux AT cvgg.org
  • To: educ AT april.org
  • Subject: Re: [EDUC] Droit et internet scolaire
  • Date: Fri, 5 Jun 2020 10:14:59 +0200

Le mercredi 03 juin 2020 à 10:48:38, QUIQUEREZ Laurent a écrit :
> Bonjour,

Bonjour,

> merci pour ces arguments circonstanciés et contextualisés.
>
> Mais suite à l'épisode de "Continuité Pédagogique en mode
> panique/institution défaillante", il est important de "trouver les mots"
> pour discuter du Libre avec les collègues : ils ont trouvé des solutions et
> se sont débrouillé avec une grande rapidité, tout en étant complètement
> isolés.

Pendant vingt ans, j'ai tenté de trouver les mots sous toutes leurs formes et
pendant vingt ans la réponse de la grande majorité fut qu'il fallait
comprendre leurs immenses difficultés en informatique (peut-être aurais-je dû
utiliser la vidéo :-). L'excuse de la panique est irrecevable et comme dit
dans mon précédent texte, celle d'une institution défaillante non plus.

Faut-il confondre rapidité et précipitation ? Alors que le moment était
propice pour mettre l'écrit, valeur généralement défendue par les
enseignants, à l'honneur en en montrant l'efficacité low-tech, en valorisant
la réflexion préalable qu'il nécessite et en permettant aux élèves d'exposer
leurs idées par ce biais réfléchi, c'est trop souvent le choix de la vidéo
qui a été fait. Et que penser de l'isolement dont vous parlez, quand les
forums écrits, qui permettent des discussions asynchrones bien plus efficaces
que les rencontres vidéos car passées par le filtre d'une réflexion
précisément moins rapide, ne sont simplement pas connu de beaucoup ?

> Toute critique est donc vécu comme un désaveux de leur dévouement, et peut
> vite devenir contre-productive.

À trois reprises me furent évoquées par des directeurs d'écoles et des
responsables pédagogiques les immenses difficultés rencontrés par eux-mêmes
et leurs services liées à cette période exceptionnelle, pour toute réponse à
mon étonnement quant au maintient, inconditionnel et sans aucune adaptation,
d'examens prévus immédiatement après la fin du confinement, comme si rien ne
s'était passé et au mépris des difficultés des élèves. À cet étonnement, il
m'a été répondu que les examens qui avaient été supprimés pour certains
l'avaient été pour des raisons sanitaires exclusivement. Sans que cela ne
soit jamais reconnu, cette réponse a pour moi une signification simple : il
est admis que l'enseignement à distance peut parfaitement remplacer un
enseignement normal alors même qu'on constate que ce n'est pas vrai.

Vous parlez plus loin de constat. Ce que cet exemple me donne à constater,
c'est que si on ne doit pas porter de jugement sur les pratiques des
enseignants pendant cette crise, on peut cependant le faire pour les élèves
et leurs familles en leurs imposant l'utilisation de vidéo-conférence et
d'examens au mépris de la vie privée et du bon sens pédagogique. Ce que cet
exemple me donne aussi à constater, c'est la reconnaissance quasi immédiate
de la pertinence de l'enseignement à distance par beaucoup d'acteurs
pédagogiques. J'étais persuadé du contraire, tant les discours sur
l'importance des relations humaines entre élèves et enseignants étaient ceux
des pédagogues, mais comment aujourd'hui interpréter la prise en compte de
notes faites pendant le confinement, comme interpréter ces examens finaux qui
ne font même pas débats ?

> J'ai pour l'instant 4 niveaux de discours :
>
> - OK , on a tous fait ce qu'on a pu, et on a beaucoup travaillé dans des
> conditions ubuesques et en isolement total.
> Pas de jugement de valeur sur le passé et le présent, mais notre posture
> professionnelle nous impose de faire des constats.
>
> - Dans la panique, on a pris ce qui nous semblait bon. Certains de ces
> outils posent problème (versions pirates de logiciels, conditions
> d'utilisation non RGPD/à peine RGPD/tout juste RGPD, version essais/gratuite
> aux engagements flous, consentements imposés à des élèves...), et rendent
> leur utilisation pas éthique et parfois (souvent) illégale.

Une panique dont l'origine se situe dans une volonté de ne pas considérer les
problèmes liés à ses propres pratiques. L'excuse a déjà clairement été
refusée précédemment aux élèves pirates et il est consternant de constater
par exemple qu'après avoir été parfaitement informés de l'interdiction
déclarée par les autorités d'utiliser WhatsApp avec leurs élèves, bien des
enseignants continuent obstinément à le faire.

> Qu'on "en utilise pour soi-même", que "des élèves/étudiants en utilisent en
> dehors" ou que "tout le monde le fait" n'est pas une excuse : par analogie
> avec le Cannabis (dont la consommation se justifie aussi avec ces 3
> excuses), la déontologie NOUS INTERDIT de le proposer -a fortiori de
> l'imposer- aux élèves/étudiants/collègues dans un cadre
> professionnel/éducatif.
> C'est une question fondamentale d'éthique que notre déontologie
> professionnelle nous impose de traiter.

Cette déclaration vous honore. Hier encore, un collègue m'a dit que les, puis
des, élèves demandaient Team. Ce à quoi, utilisant votre exemple, je lui ai
demandé si, aux personnes lui réclamant du Canabis, il répondait
favorablement ? Son sourire fut éloquent.

> - les Logiciels Libres sont par définition légaux, souverains (quand ils
> sont déployés sur ordinateurs institutionnels ou personnels), et réplicables
> ; En général plus égalitaires (pas de sélection par l'argent ou par le
> matériel si multi plateforme...), plus sûrs (dernière version maintenue et
> patchée) et plus homogènes (même version pour tout le monde).
> C'est une question importante d'éthique que notre déontologie
> professionnelle nous demande de traiter.

Entièrement d'accord.

> En outre, ils utilisent des formats "ouverts et documentés" qui assurent
> l'interopérabilité et la pérennité de nos/vos fichiers.
> C'est une question importante d'efficacité que nos déboires passés nous
> encouragent à traiter.

À cela j'ajouterais une indispensable déclaration de sobriété. Autant le
respect de la vie privée et l'absence de traçage imposent l'utilisation de
logiciels libres, autant le respect de notre environnement impose une
sérieuse réflexion sur le choix des outils de transmission des connaissances.
Et dans le premier, comme dans le second, tout n'est pas permis.

Pour moi, la vidéo est au transport des informations, ce qu'un 4x4 est au
transport des personnes. Dans une immense majorité des cas, elle est inutile
et sert à déplacer une information si légère que le coût du transport la
disqualifie. Exactement comme pour la voiture, l'augmentation de la taille du
contenant implique une infrastructure disproportionnée avec les besoins réels
de déplacements. Comme pour l'efficacité énergétique incontestable des vélos
sur les voitures, celle du texte sur la vidéo, pour les connaissances l'est
aussi. Certes des contres exemples existent, mais la politique du « au cas où
» est-elle encore admissible ?

Hier encore, un collègue me disait la vidéo nécessaire pour mettre le doigt
sur les erreurs de compilation en LaTeX que les élèves ne savaient pas lire.
Utiliser une connexion synchrone, haut débit, à horaire déterminé, pour
mettre le doigt, par vidéo, une fois, deux fois, trois fois sur les mots «
not found » est-il raisonnable ? Utiliser un 4x4 pour aller acheter une
baguette de pain l'est-il vraiment ?

Les choix que nous imposent le monde vont aujourd'hui vers une obligation de
sobriété qui passe par une exigence forte d'efficience et surtout
d'efficacité des systèmes technologiques. Il s'agit d'adaptation pertinente
des moyens aux besoins. Or, le constat est non seulement que notre société de
croissance est ontologiquement opposée à cette adaptation, mais que plusieurs
courants libristes le sont aussi. On connait la dichotomie
ingénieur-humaniste, simplement illustrée par les deux pères GNU-linux, mais
je suis très souvent étonné de l'éviction consciente ou inconsciente de la
composante écologiste au sein du monde du libre (la reconnaissance par les
écologistes des exigences du libre étant, reconnaissons-le, aussi mauvaise)
alors qu'elle me semble incontournable. Ainsi, les pratiques compatibles à
mon sens avec une perception low-tech de l'informatique devraient nous
orienter plus vers le texte que vers la vidéo. En effet, par exemple, encore
hier encore, étaient signalé des élèves écartés des vidéos-conférences de mes
collègues en raison « de la mauvaise qualité de leur connexion wifi », alors
qu'il recevaient parfaitement les mails. Je parle ici de wifi, mais
l'escalade des puissances 3G, 4G, 5G, ... est aussi l'une des conséquences de
ce qui me semble une inadéquation des moyens avec les buts.

---

La surveillance, le traçage, la vitesse, à l'instar des réseaux sociaux qui
nous placent dans l'immédiateté, me mettent aujourd'hui dans la position
complexe d'une grande admiration des techniques éthiques, mais d'un rejet tel
de ces outils sans conscience que ma migration vers l'abandon de mon
smartphone est en cours. Pour moi, comme le dirait Éric Sadin dans la
silicolonisation du monde ou Edward Snowden la limite est franchie et cela
signifie point-G.

> Au plaisir de vous lire,

Moi de même.
--
Vincent Guyot
@debian GNU linux



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