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accessibilite - Libre ... mais pourquoi ça ?

Objet : Liste de diffusion du groupe de travail Accessibilité (liste à inscription publique)

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Libre ... mais pourquoi ça ?


Chronologique Discussions 
  • From: François Poulain <fpoulain AT metrodore.fr>
  • To: accessibilite AT april.org
  • Subject: Libre ... mais pourquoi ça ?
  • Date: Mon, 14 Jun 2010 17:15:46 +0200

Bonjour,

Je lance ce sujet au titre volontairement provocateur, mais je voudrais ici susciter chez vous l'interrogation « pourquoi le logiciel libre ? ». Est-ce mieux, si oui pourquoi ? Est-ce parce que c'est à la mode ? Ou que des gens en qui vous avez confiance vous ont prescrit que c'était bien ? etc. Pour moi, le logiciel libre est un enjeu de société, et j'avoue avoir envie de vous entrainer dans ma démarche.

Il me semble très important que chacun développe une opinion sur la question, car lorsque je vois passer des messages tels que celui-ci :
Je trouve le logiciel pratique c'est tout.
Je ne sais pas pour vous mais personnellement, ça me choque. Pour moi le logiciel libre n'est pas une question de "praticité", même s'il en a des qualités, mais ces qualités sont *seulement* des conséquences de choix plus fondamentaux. Le logiciel libre est beaucoup plus qu'un simple problème de "praticité", et je pense qu'il est important pour faire progresser le libre dans le domaine de l'accessibilité, de bien faire passer ce message auprès de nos interlocuteurs.

Ça fait aussi depuis que j'ai parcouru les pages wiki du groupe de travail ou je vois la mention suivante dans le wiki :
http://wiki.april.org/w/Catalogue_des_logiciels_de_suppl%C3%A9ance_libre#Logiciels_non-libres_mais_sans_.C2.AB_prise_en_otage_.C2.BB
Or, pour moi, un "logiciel non-libre" est *par définition* un logiciel qui prend les gens en otage. Donc un « logiciel non-libres mais sans prise en otage » n'existe pas. C'est un oxymore *total*. Une contradiction dans les termes. C'est pourquoi on appelle communément « privateur » le logiciel non-libre : il vous prive tout simplement de la possibilité d'exercer vos libertés.

Mais de quelle liberté discutons nous ici ? La liberté est un sujet majeur de la société, et ce au moins depuis que le début de la civilisation occidentale. Je pense que ce n'est pas à des gens impliqués dans le groupe « accessibilité » que je vais apprendre que nous ne sommes jamais totalement libre. Nous ne choisissons pas, par exemple, de naitre avec ou sans la faculté de voir ; ou de la perdre par la suite ; etc. Par contre, il me semble extrêmement important que *vos* ordinateurs n'amputent pas plus votre liberté d'action. De plus en plus, les ordinateurs sont partie intégrante de notre société, et de plus en plus c'est au travers de l'outil informatique que nous exerçons nos libertés, dans la vie de tous les jours. Et encore une fois, dans ce groupe nous devrions être tout particulièrement sensibilisé à l'effet libérateur que peut avoir l'informatique et donc à l'importance d'en maitriser l'usage. Pourtant, nous sommes un peu à la croisée des chemins, où l'informatique peut devenir extrêmement libératrice, ou encore extrêmement liberticide, voire totalitaire. Nous avons des exemples de la vie de tous les jours pour le prouver. Mais quoi qu'il en soit, l'informatique sera ce que *nous* en ferons. Notre architecture informatique est à l'image des gens qui la conçoivent ; et parallèlement notre société de demain reposera intégralement sur cette architecture. Elle en sera le reflet de l'image.

La liberté informatique est donc ni plus ni moins la liberté de contrôler le travail effectué par nos machines. Le logiciel contrôlant nos machines, liberté et logiciel sont alors indissociables dans cette perspective. Dans une société complètement assistée par des machines, qui elles mêmes sont contrôlées par le logiciel, la question de la liberté logicielle devient alors aussi importante que n'importe quelle question législative. Je vous laisse découvrir les ouvrages de Lawrence Lessig (Code and Others Laws of Cyberspace) et Richard Stallman (Free Software, Free Society) qui démontrent parfaitement ce propos : le logiciel libre est un *enjeu de société*.

La première liberté pour un utilisateur de logiciel est la liberté d'exécution. Vous devez avoir le droit d'exécuter comme vous souhaitez le logiciel, pour n'importe quel usage, à tout moment et sans condition. Ça semble bête dit comme ça, mais en fait, rare sont les logiciel qui respectent pour de vrai cette liberté, en dehors des logiciels libres. Mais comme la plupart des gens ne lisent pas les licences, elles mêmes rédigées dans le vocabulaire de la scolastique moderne, ils ne sont pas au courant des restrictions abusives souvent imposées par les logiciels privateurs.

Ceci étant, avec ou sans cette liberté vous n'êtes pas libres de contrôler l'exécution du logiciel sur votre machine. D'une part, le logiciel peut vous montrer des choses et en réaliser d'autres (l'espionnage est monnaie courante) ; d'autre part, vous être nécessairement limité par les fonctionnalités que le programmeur a décidé pour vous : si par exemple votre navigateur Internet ne gère pas HTML5 et que vous en avez besoin, vous n'avez à ce stade aucune possibilité d'y changer quoi que ce soit ... sauf à convaincre son programmeur d'améliorer le support.

Cette liberté est donc nécessaire, mais évidemment pas suffisante : je ne sais pas si vous avez déjà essayé de contacter Microsoft pour leur demander d'améliorer IE, mais l'expérience montre que ça ne débouche pas toujours sur quelque chose qui vous convient. D'ailleurs, IE, comme la plupart des logiciels privateurs ne respecte même pas cette première liberté.

La deuxième liberté, conséquence logique, est donc la possibilité d'étudier ce que fait le logiciel, et de le modifier. De cette façon, vous pouvez parfaitement corriger la situation dénoncée plus haut. Pour pouvoir exercer cette liberté, vous avez alors besoin de pouvoir accéder à la recette du logiciel : en effet, le logiciel est généralement présenté très différemment en langage de programmation (source) ou en langage machine (code). Le code qu'on fourni à nos machine est globalement incompréhensible pour n'importe quel programmeur. Nous avons donc besoin du code source.

Une autre liberté qui est importe est la liberté de faire des copie ; donc d'aider votre voisin. Ce droit d'échanger les logiciels est en effet très important pour la collaboration des utilisateurs. Supposons par exemple qu'un ami vous demande une copie de votre logiciel. Quelle serait votre réaction : rompre votre amitié en refusant la copie, ou rompre avec un contrat de licence abusif ? Comme toutes les personnes qui ont du respect pour leurs amis, votre choix sera probablement de faire la copie, et de ce fait innocent, rompre toute licence qui vous l'interdira. Mais il n'est jamais bon de rompre une licence, même pour faire plaisir à vos amis (même si ce sont de très bon amis !!) : il faut mieux refuser d'utiliser et de promouvoir les logiciels qui vous interdisent de faire des copies et de les partager. Il faut mieux utiliser des logiciels libres, qui eux encouragent la copie et l'entraide. La troisième liberté du logiciel libre est donc la liberté de redistribuer des copies (y compris de les vendre : le libre est indifférent à la copie « commerciale » ; voir plus bas).

Il reste la dedans un petit problème. Je ne sais pas pour vous, mais moi je ne suis pas informaticien. Je ne suis généralement pas *capable* d'exercer ma seconde liberté, et j'avoue que pour tous les jours, en dehors de la première et de la troisième liberté, je ne me sens pas plus impliqué que cela ; car de toute façon je ne sais pas modifier le logiciel. De la même façon, je ne sais pas réparer ma plomberie : lorsque j'ai un problème de chaudière, je fais appel à un spécialiste.

C'est là que rentre en jeu la quatrième et dernière liberté : la liberté, pour chacun, de distribuer des versions modifiées du logiciel. Grâce à cette liberté, je peux faire appel à n'importe qui pour exercer les libertés garanties par la deuxième liberté (le droit d'étude et de modification). Grâce à cette liberté, chaque programmeur peut mettre à disposition de tous des améliorations du code et participer à la création d'un « pot commun » de logiciels.

Et c'est très important que cette liberté existe, même si je ne l'utilise que rarement ; car en temps qu'utilisateur, de la même façon que je peux choisir le plombier que je souhaite pour venir réparer ma chaudière, je peux alors négocier qui et dans quelles conditions pourra résoudre mon problème. Ça peut être le fruit d'une action bénévole, tout comme un contrat réalisé par une entreprise ... peu importe. Ce qui importe, c'est ma liberté de choix, et le fait que je ne sois pas *obligé* de demander à un *unique* acteur de bien vouloir étudier ou modifier le logiciel à ma place. Un très bon exemple est donné par Apple avec son iphone : si vous souhaitez qu'une application logicielle fonctionne sur l'iphone, vous êtes *obligés* de passer par Apple. Des fois ils veulent bien, des fois ils ne veulent pas. Ils ont le *contrôle* total sur l'utilisation que vous faites de *votre* téléphone. Et cette caractéristique n'est pas propre à Apple : elle se retrouve chez tous les grands (et petits) noms de l'industrie des logiciels privateurs (Microsoft, Adobe, etc.)

Ces 4 libertés ont été décrites par Richard Stallman au sein de la FSF au cours des années 80. Là où je veux attirer votre attention est qu'elle ne sont pas sorties du chapeau : elles ont leur raison d'être, pour répondre à des problèmes pratiques rencontrés tous les jours sur le terrain. Et si une seule de ces quatre liberté manque à la licence d'un logiciel, il ne faut surtout pas l'assimiler à un logiciel libre.

Ces 4 libertés ne sont pas non plus des obligations. Elle sont seulement là pour tenter de préserver un équilibre entre les auteurs de logiciel et leurs utilisateurs. Un parallèle dans ce sens se trouve dans la vie politique : personne parmi vous n'aura peut être envie de se présenter comme maire à l'élection de sa commune. Mais tout le monde devrait être convaincu qu'il est fondamental pour l'équilibre de la société que chacun dispose de ce droit. Il en est de même avec les libertés associées au logiciel libre. C'est pourquoi il est très important, je crois, que si on veut faire avancer le libre dans le domaine de l'accessibilité, alors il faut faire passer ce message auprès de nos interlocuteurs.

Pourquoi refuser les « clauses exotiques » dans les licences ?

Je détaille un peu sur ce point, car j'ai vu des trucs franchement bizarres, avec des clauses de licences qui sont inutilisables en pratique. Certains logiciels disposent d'une licence particulière, par exemple permet l'ouverture des sources, mais uniquement pour un usage non commercial. Donc n'autorisent pas les usages militaires, etc. Ces clauses « exotiques » partent souvent d'un bon sentiment, mais elles sont fort dommage, car ce type de clause (qu'on ne peut absolument pas considérer comme libre) est généralement difficile à évaluer. Par exemple, si une association proposait de vendre une clé USB, ou donne un CD avec le logiciel dessus, cela rentre t-il ou non dans une clause non commerciale ? S'il faut payer pour entrer dans un musée, et que ce musée donne gratuitement un logiciel, qu'en est t-il ? Qu'en est t-il en cas d'un site commercial financé par de la publicité ? ... Bien sûr, nous pouvons toujours demander à des juristes de clarifier la situation, dans chaque cas. Nous pouvons également demander aux auteurs une autorisation ou une confirmation qu'on rentre bien dans le cadre de la licence, mais c'est généralement *impraticable* en réalité. Par exemple, une distribution GNU/Linux comme Debian rassemble plus de 25000 logiciels, avec autant plus de contributeurs différents qui ne sont pas nécessairement facilement joignables. On comprends bien que demander à chacun qu'il délimite la portée de ses clauses de licence est complètement impraticable.

Donc, tous les cas de clause "non conventionnelle", comme les clauses "non commerciales", les clauses "anti-armement", les clauses "anti-spécistes", etc. ne sont pas à considérer comme libre. Je respecte tout à fait la motivation qu'il peut y avoir à utiliser de telles clauses dans les licences, mais leurs
auteurs devraient y réfléchir, car dans un écosystème qui est celui du partage et de l'échange, l'effet global de ces clause peut être largement contre-productif ; à commencer parce qu'elle rend complètement illisibles les idées que l'on défend.

Je défend personnellement un logiciel libre, un logiciel où personne n'a besoin d'avoir fait cinq années de droit pour connaitre les libertés dont il dispose avec le logiciel. Si vous hésitez à me croire, je vous invite à lire le préambule de la licence GNU GPL, qui est d'une clarté rare.
http://www.linux-france.org/article/these/gpl.html (traduction non officielle de la GPL v2)

Si vous avez quelque interrogation ou quelque doute autour de ces sujets (que je ne fais qu'effleurer), je pense que c'est le moment. N'hésitez pas à poser vos questions, et aussi a proposer vos réponses.

Vous pouvez aussi trouver des compléments dans divers ouvrages, nous avons une page de bibliographie au sein de l'April : http://www.april.org/fr/articles/bibliographie.html En outre des ouvrages déjà cités, je vous recommande « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre », aux éditions Eyrolles et qui est un magnifique travail de Framasoft. Il est disponible librement sur Internet (tout comme Free Software, Free Society, dont chaque texte est traduit en français aux cotés de nombreux autres : http://www.gnu.org/philosophy/philosophy.fr.html ).

Mes deux euros.
François

--
François Poulain <fpoulain AT metrodore.fr>

Il ne faut parler que lorsque l'on n'a pas le droit de se taire, et ne
parler que de ce que l'on a surmonté — tout le reste est bavardage,
« littérature », manque de discipline.
-+- Frédéric Nietzsche, Humain, trop humain -+-

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