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educ - Re: [EDUC] Droit et internet scolaire

Objet : Liste de discussion du groupe de travail Éducation et logiciels libres de l'April (liste à inscription publique)

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Re: [EDUC] Droit et internet scolaire


Chronologique Discussions 
  • From: linux AT cvgg.org
  • To: educ AT april.org
  • Subject: Re: [EDUC] Droit et internet scolaire
  • Date: Sun, 31 May 2020 19:45:49 +0200

Bonjour,

Ce petit message pour vous remercier de ces informations très intéressantes.
En ces temps de Covid, on se croît vite esseulé dans ses analyses, surtout
quand le virus de la vidéo s'abat sur les enseignants.

J'aimerais aussi prendre position par trois remarques.

---

Tout d'abord, concernant la vidéo et l'écrit. Avant le Covid, beaucoup
d'enseignants marquaient une attitude critique concernant le recours «
systématique » des élèves à YouTube. Non pour des raisons de protection des
données, mais parce que ce moyen de communication leur semblait disqualifié
par l'écrit, que précisément ils enseignaient. Or, pendant le Covid, on a
assisté a un véritable rush de leur part sur la vidéo. Pourquoi un tel
engouement pour un moyen qu'ils décriaient précédemment ? L'explication est
pour moi simple : il est beaucoup plus difficile d'écrire que de se filmer.
Ce constat est intéressant, car il montre les difficultés des enseignants
eux-mêmes à écrire et souligne que leur premier réflexe a été exactement le
même que celui de leurs élèves en matière de communication : utiliser la
vidéo comme moyen le plus facile de le faire.

Passé un moment d'euphorie, pour leurs cours les enseignants ont vite
remarqué que créer des vidéos contenant plus que le simple discours qu'ils
avaient l'habitude de tenir à leurs élèves, c'est-à-dire créer des vidéos
ayant un contenu réellement multimédia, était très difficile, prenait
beaucoup de temps et que la plupart ne maitrisaient pas les outils
informatiques nécessaires pour cela. N'est pas la BBC qui veut. Les cours
sont donc devenus des vidéos d'eux-mêmes singeant le présentiel et évidemment
tout ce qu'ils reprochaient aux vidéos YouTube s'est retrouvé dans leurs
propre pratiques.

Mais même par vidéo, faire des cours classiques n'est pas chose facile, à
plus forte raison quand personne ne vous « applaudit ». L'une des réaction
des enseignants a alors été de renoncer aux cours au profit de « rencontres »
avec les élèves, qui soudainement sont devenues aux yeux des enseignants «
absolument nécessaire pour les élèves dont le manque de contact pouvait
affecter le moral ». Mais surtout, ces présentiels sont devenus l'occasion de
faire ce que les enseignants savent le mieux faire : donner des leçons et du
travail. Et cela leur a plu :-).

C'est donc devenu dans leur esprit un passage obligatoire auquel il fallait
soumettre les récalcitrant. Là où j'enseigne, des travaux écrits notés ont
été maintenus pour des raison qui mériteraient un article entier. La présence
de ces évaluations a été l'occasion de justifier l'importance de voir les
élèves, de voir leur visages pour évaluer leur niveau de stress. Car, pour
beaucoup d'enseignants le langage des sms ou, même celui des mails, est
problématique. En effet, j'ai constaté à plusieurs reprise que les
enseignants ne voyaient pas dans ces textes les émotions transmises par les
emoticons, par exemple, ou même par le contexte, que beaucoup n'avaient pas
l'expérience nécessaire pour maîtriser des discussions de forum et qu'ils ne
lisaient trop souvent qu'une partie de leurs mails. Clairement, la maîtrise
des textes classiques n'implique pas celle d'autres langages, tout aussi
complexes et véhicules d'émotions, comme les sms. Clairement, écrire des
mails long, cohérents et structurés, leur pose problème. Mais l'évaluation du
stress des élèves n'est en réalité qu'un leurre, car pour une partie
importante des enseignant et des directions, le lien entre évaluations et
stress n'a jamais existé. Cela se traduit dans la région dans laquelle
j'enseigne par le maintient des examens immédiatement après le retour au
présentiel, exactement comme si rien ne s'était passé. Cela aboutit à une
situation ubuesque où les enseignants se plaignent d'un surcroit de travail
précisément parce que les rencontres par vidéo prennent du temps, mais où
sont niées les difficultés des élèves liées à l'enseignement à distance, pour
ne pas remettre en cause les évaluations. Ainsi, plus que de donner des
leçons ou même du travail, c'est à un véritable contrôle des présences sans
objectif pédagogique qu'à réellement servi la vidéo.

---

Ensuite, il faut remarquer que les précautions nécessaires liées à ce que
j'appellerai une « violation de domicile » par l'intermédiaire de la vidéo
n'ont pas été sous-estimée, elles n'ont même pas été évoquées. Chez nous, sur
trois préposés à la sécurité des données, deux ont pris position contre
l'utilisation de Zoom, mais aucun n'a évoqué l'enregistrement de mineurs sans
l'accord de leurs parents, ni même l'enregistrement de leur parents eux-mêmes
sans qu'ils le sachent, par l'intermédiaire des conférences vidéos imposées à
leurs enfant. À l'évocation de ceux-ci, une timide réponse à été de parler de
dommages collatéraux et surtout, tenez-vous bien, de rappeler le fait qu'il
fallait laisser les enseignants libres de s'organiser. Si, pour une partie
des enseignants utilisant les vidéos conférences, un refus total d'envisager
ces dommages a été pleinement assumé, quelque uns ont entendu la critique et
les mesures qu'ils ont alors prises méritent le détour : demander aux élèves
de couper la caméra après qu'ils se soient présentés. Pas immédiatement, car
cela serait avouer que la vidéo est inutile, mais après avoir dit bonjour et
donc filmé son environnement personnel et éventuellement celui de ses
parents. J'ai personnellement vécu des cas très problématiques où, pendant
une discussion totalement privée avec mon épouse, je me suis rendu compte que
l'enseignant de ma fille était présent. Si celle-ci avait été mineure,
j'aurais refusé catégoriquement la vidéo, mais elle était majeure et la
pression des enseignants si forte qu'il ne lui est même pas venu à l'esprit
qu'elle pouvait refuser. Le pouvait-elle d'ailleurs vraiment ? Clairement
non, tant la pression aux notes a été forte.

Les grands principes de protection des élèves que les enseignants ne cessent
d'évoquer devant la presse sont simplement passés aux oubliettes. Le fait que
la chambre d'un mineur soit un lieu privé ou l'enseignant n'a pas à mettre
les pieds comme celui du droit des élèves à ne pas utiliser Team sous la
pression de son enseignant ont été niés. Et il est piquant de noter que les
mécanismes qui obligent les élèves à s'inscrire sur les mêmes réseaux sociaux
que leurs camarades, comme le « mais tout le monde y est », ont été utilisés
par les enseignants pour forcer les élèves à utiliser la vidéo alors même que
ceux-ci décriaient précédemment cette enrôlement illégitime. Plus que cela,
nous avons aussi assisté ébahis à la promotion et à l'utilisation dans le
cadre scolaire de ces réseaux sociaux au mépris de tout bon sens.

---

Enfin, il faut constater la mainmise des GAFAM dans l'éducation et sur les
services techniques. Chez nous, alors que Moodle est utilisé par les Écoles
polytechniques et les Universités, dans notre région, une forte promotion de
Team a été réalisées par les services techniques avec la bénédiction du
préposé à la sécurité des données arguant que Microsoft avait donné
l'assurance de la plus parfaite probité. Quand j'ai demandé qu'il en soit de
même pour Moodle, de l'email nous sommes passé à une demande de contact
téléphonique et, au vu de mon exigence d'écrit, au silence complet.

---

De manière très générale, aucun des aspects négatifs liés au traçage et au
respect de la vie privée dans le cadre de l'enseignement à distance n'est
évoqué par les enseignants avec leurs élèves. De manière générale, les
enseignants se montrent énervés à l'évocation de ceux-ci et des limites
qu'ils leur imposent dans le choix des outils qu'ils utilisent. Et non
seulement le déficit en termes de connaissances en informatique des
enseignant est très important, mais même en toute connaissance de cause,
ceux-ci refusent de remettre en question leur pratiques malgré les problèmes
avérés.

C'est pourquoi, je conclurai en disant que si la connaissance de la loi est
une excellente chose pour oser personnellement refuser certaines pratiques,
l'expression de celle-ci auprès de beaucoup, pour ne pas dire de la majorité
des collègues, est inutile.
--
Vincent Guyot
@debian GNU linux



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