Re : Re: [EDUC] enseigner l'informatique : mettre la charrue avant les boeufs ?

[cnestel AT free.fr]

----- Yves Combe <ycombe AT april.org> a écrit :

> Sa position est basée sur le socle commun, auquel il fait dire (non sans 
> raisons, le socle étant basé là-dessus)  que les connaissances 
> disciplinaires sont «dérisoires» et  que seules comptent les 
> connaissances «transverses». Dans cette optique une nouvelle discipline 
> avec son corpus de connaissances et de techniques est un ennemi à abattre.

Bonjour Yves,

Juste en deux mots, par manque de temps.

Sans entrer dans ce que pense M.Guillou, je considère que c'est une grave
erreur de dire que le socle commun est basé sur des connaissances 
transversales.
Il s'agit malheureusement, et c'est là tout le problème, de "compétences" 
dites transversales. 


> C'est une démarche générale: le socle est l'ennemi de toutes les 
> disciplines, l'informatique y compris. On prétend former avec des 
> citoyens éclairés, mais sans connaissances solides on ne forme que des 
> singes capables de répéter bêtement quelques slogans mal compris et 
> quelques techniques sans saveurs.

Exactement, comme tu le dis si bien.

Pour autant, l'enseignement des disciplines nécessite également d'être
pensé en termes de transversalité et d'interdisciplinarité ; ce qui
implique la reconnaissance de l'existence des disciplines, de leurs
notions, de leurs corpus, de leurs méthodes, même s'il n'est pas
toujours possible de les agencer dans une harmonisation des programmes
vers laquelle nous devons tendre.

Des exemples. 

En Technologie, j'aborde le programme de quatrième intitulé "Confort
et domotique", pour la partie "confort" en m'appuyant sur les 
appareils électroménagers de nos cuisines.
Tous les appareils bâtis sur le principe des résistances électriques
peuvent s'expliquer, sur le plan scientifique, par l'effet Joule.
Or, l'effet Joule n'est pas - pour des raisons de progression
en physique - abordé en collège. Idem pour les plaques à induction,
dont la transmission de chaleur produite par un électro-aimant 
ne peuvent être, sur le plan du principe scientifique intelligible que
bien plus tard dans le cursus au lycée, lorsque seront abordés en
physique les courants de Foucault.
Même si les gazinières ne sont pas dans mon programme, je les traite
parce qu'elles permettent de mettre en lumière une transversalité 
réelle avec le programme de physique sur la combustion que les
élèves abordent en quatrième.

Pour moi l'objectif, c'est que les élèves comprennent que la plupart
des objets qui nous entourent sont bâtis sur un principe scientifique.
Je ne peux pas leur demander la maîtrise de chacun de ces principes
qui dépendent d'une progression disciplinaire, mais seulement d'atteindre
l'objectif "j'en ai entendu parler", de comprendre ce qui distingue
la science de ses applications.

Idem, pour coder par exemple la couleur d'une page web. 

Sur le plan physique, il s'agit de l'application de la synthèse additive
mise en lumière par Thomas Young eu début du XIXème siècle sur laquelle
s'appuient toutes les technologies de nos écrans couleurs (pixels et
sous-pixels). Pour autant, Thomas Young était médecin. Et c'est en 
travaillant sur les capteurs sensoriels de l'oeil qu'il s'intéressa à
la réalité physique ouvrant les prémisses de physique quantique.

L'objectif pour moi est identique à celui des plaques à induction.
Démontrer que tous les objets techniques qui nous entourent sont
bâtis sur des principes scientifiques.

Pour autant, le point du Libre sur l'informatique n'est pas le même
que celui de l'obscurantisme privateur qui cherchera à occulter
ce qui distingue le matériel du logiciel. Et la cohérence qui est en
face de nous est la même. Que ce soit pour légitimer les brevets logiciels,
la vente subordonnée, l'obscurantisme numérique...

De ce fait, enseigner depuis le plus jeune âge ce qui distingue le
matériel du logiciel implique une approche de l'informatique qui
passe par la compréhension de ce qui différencie ensuite un système
d'une application. 

Pour revenir à mon cours. Le codage des sous-pixels, implique de
comprendre que la notion d'octet n'a rien de scientifique. C'est
une norme, imposée par IBM dans les années soixante qui a permis
la fabrication des premières machines compatibles d'IBM ayant ouvert
la voie au génie logiciel, à la séparation entre le matériel et
le logiciel.

La notion de norme est une notion technologique, au même titre que
les notions de compatibilité et d'interopérabilité. 

Comme par hasard, ces notions fondamentales ne sont inscrites nulle
part dans les programmes de technologie. Et en ce sens, dire que 
les sciences sont neutres, doit être pondéré par le fait de considérer
que leur "racontabilité", leur enseignement, les programmes scolaires
ne le sont pas. Les corpus disciplinaires sont une chose, leur
enseignement en est une autre.

Et pour revenir au codage des sous-pixels. Cela implique également 
des connaissances mathématiques : bases de numération, distinction
entre écriture et nombre, mais en aucune manière je démontre en quoi
tout nombre élevé à la puissance zéro est toujours égal à 1. Les
élèves ne font que le constater. 

Tout ça pour dire que les notions disciplinaires ne peuvent pas
toujours être abordées en transversalité, mais le travail interdisciplinaire,
le travail en équipe, les concertations sont une nécessité pour donner
du sens à notre enseignement.

On ne peut pas seulement penser l'enseignement dans les seuls termes
de la segmentation arborescente et c'est ce que je reproche à l'approche
de la science informatique version EPI, même si bien sûr, je me 
bats pour un enseignement de la science informatique dans le cursus.

Librement,
Charlie