Re: [EDUC] J'ai entendu une horreur

[Louis-Maurice De Sousa <louis.de-sousa AT pi-et-ro.net>]

Bonsoir Laurent, bonsoir à tous,

Le 25/01/2016 19:00, Laurent COOPER a écrit :
> Bonjour

[…]

> Si l'on veut revenir sur le partenariat entre Microsoft et l'éducation
> nationale, on voit les points suivants :
>
> * Ce n'est pas un marché. Personne n'a déboursé le moindre centime. L'EN
> n'a rien payé, les collectivités n'ont rien payé, et elle n'ont rien à
> payer.

C'est vrai, le ministère a vendu la totalité des futurs citoyens 
français à Microsoft pour 13 millions d'euros…
C'est une très bonne affaire pour Microsoft…

> * Ce n'est pas un accord d'exclusivité. Cet accord n'empèche aucune
> autre société, aucune association, de signer un autre accord de partenariat.

Qui ? Pourquoi ? Qui peut se permettre de former les enseignants 
français à des outils numériques ? Sur quels critères ?
À part pour Microsoft, je ne vois aucun intérêt à cet accord.

> * Microsoft propose des outils pour le monde éducatif. Personne n'est
> obligé de les utiliser. Ni les collectivités, ni les enseignants.

C'est exact. À ceci près que la stratégie a changé et qu'avec l'aval du 
ministère, Microsoft va toucher des prescripteurs. Cela en mettant en 
avant une illusion de neutralité de l'outil. Microsoft n'a *jamais* fait 
des outils neutres. Et l'enseignant est un puissant prescripteur.
En trois mois de retour devant élèves, simplement parce que nous 
utilisons GNU/Linux en classe, deux élèves m'ont déjà demandé de migrer 
leur machine.
Qu'en sera-t'il lorsque des enseignants mettront massivement des 
document sur Drive® ou MS Office 365 ?… Avec la bénédiction du ministère 
cette fois…

> Pour ceux qui ne le savent pas, il est peut être utile de le rappeler :
>
> * Le ministère n'a aucune prérogative dans la prescription des outils
> utilisés dans une salle de classe. Ils relèvent de la liberté
> pédagogique de l'enseignant.

Exact, mais on va te proposer des outils en ligne basés sur des 
technologies Microsoft qui sont source de dépendance, et que tu vas 
vouloir les utiliser, ce qui est normal. Elle sera où ta liberté 
pédagogique d'utiliser tel ou tel outil qui marchera moins bien avec le 
service de Microsoft, que ceux de Microsoft  ?

> * Dans un établissement scolaire, l'achat du matériel et la maintenance
> sont à la charge de la collectivité de rattachement. Par contre, le
> choix des outils pédagogiques relève toujours du libre choix de
> l'établissement et des équipes pédagogiques.

C'est exact mais en théorie seulement. La grande mode pour les 
collectivités est de sous-traiter toute la gestion du parc informatique 
à des entreprises qui ne savent déployer que des solutions Microsoft.
Elle est où la liberté des équipes ? Car cet accord va conforter les 
collectivités dans leur choix qui est *déjà* contestable.
Dans quelques mois sans doute, la collectivité va prendre le contrôle du 
réseau de mon établissement et le livrer aux bons soins d'une entreprise 
de service.
Tu crois vraiment qu'ils vont m'écouter quand je vais réclamer le 
maintient de ma salle sous GNU/Linux parce que je refuse de travailler 
sous Windows et tous ces emmerdements ? Parce que je veux garder le 
fruit d'années de travail ? Que je veux garder mes 24 postes que je 
maintiens avec amour ? Que je ne veux pas dépendre de tel ou tel service 
pour déployer telle ou telle application ?
Elle est où la liberté des équipes ?

> Revenons à cet accord. Microsoft propose des ressources. Pourquoi ?
>
> D'aucuns y voient volontiers un complot. Je pense qu'il y a là une
> décontextualisation. C'est oublier que Microsoft est une société
> américaine.
>
> Il est bon de rappeler qu'aux Etats Unis, par tradition, l'état est
> faible. L'éducation est fortement aidé, par les sociétés, les
> fondations, les mécènes. Cela fait partie du paysage habituel.

Il ne s'agit en aucune façon d'une « tradition ». C'est un modèle de 
société. Pour des tas de raisons, y compris géographiques, les Étas-Unis 
se sont construits avec un État qui n'a que des pouvoirs régaliens. 
C'est comme ça. En Europe et en France particulièrement, c'est 
différent. Ce n'est pas parce que, c'est le mode de fonctionnement aux 
États-Unis, qu'il faudrait accepter la même chose de cette entreprise ici.
Je voudrais préciser qu'à la suite de l'ouragan Katrina, tout le service 
public d'enseignement a été démantelé à la Nouvelle-Orléans. Voir « La 
stratégie du choc ».
On est donc bien au-delà de « traditions »…

> Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Mais il faut en tenir compte.
>
> Tous ces courriers extrêmement agressif me font un peu peur. Je trouve
> qu'ils manifestent parfois un certains extrémisme.
>
> J'aimerais vous rappeler, comme je l'ai fait sur les listes ITIC (désolé
> pour ceux qui sont sur les deux) deux citations. La première d'André
> Comte Sponville :
>
> "se comporter suivant une éthique, c'est être morale. Vouloir que les
> autres en fasse autant, c'est être moraliste".
>
> Au quotidien, j'utilise des outils libres. Je ne veux pas les imposer
> par la force aux autres. J'espère qu'ils adhéreront à ma vision des
> choses, mais je ne peux pas leur imposer. Oh, quand j'étais plus jeune,
> j'ai essayé. J'ai beaucoup desservi le libre alors.

Je n'ai *jamais* rien imposer à personne. L'inverse n'est 
malheureusement pas vrai. On *m'impose* des machines sous Windows, mal 
achetées, dans les dotations départementales. On va *m'imposer* un ENT 
basé sur des technologies Microsoft et qui donc possède des services et 
fonctionnalités qui ne marchent qu'avec IE, MS Word ou MS Excel. On 
*m'impose* un logiciel de notes qui n'a pas de client sous GNU/Linux et 
je dispose donc de moins de services.
C'est pourquoi je lutte *pour* le développement du libre, mais aussi 
*contre* Microsoft et des logiques absurdes dont je subis tous les jours 
les conséquences.

> Ce qui me conduit à la seconde citation, de Sœur Emmanuelle (quel
> mélange, je sais):
> " Je ne me battrais jamais contre. Je me battrais pour"

Cela pourrait être vrai si le combat ou l'opposition étaient équilibrés. 
C'est loin d'être le cas. Quand tu achètes une machine, on te fourgue 
Windows. Il faut être déja bien informé pour échapper à cela. Dans 
l'Éducation Nationale et les collectivités, la plupart des décideurs 
sont incompétents techniquement et éthiquement sur le plan du numérique. 
En 2015, un chef de service de la DSI de Versailles ignorait ce qu'était 
LibreOffice. Le même parle de « uncloud » dans ses comptes-rendus en 
lieu et place de « owncloud », alors même que la DSI de Versailles 
propose une instance owncloud à tous les enseignants. Je ne pense pas 
qu'il soit un cas isolé.
Et ce petit monde, alors qu'une dizaine d'outils libres sont proposés 
aux enseignants, n'envisage pas une seule seconde qu'il pourrait 
contribuer en ajoutant le petit truc qui manque pour que ce soit mieux. 
Non, quand ce n'est pas suffisamment bien, on jette et on cherche un 
autre projet à parasiter.

Face à cette pensée dominante, je suis contraint de me battre *contre*.

> Oui, je ne me battrais pas contre le logiciel propriétaire. Je me
> battrais pour le logiciel libre. Je ne me battrais pas contre Microsoft.
> Je me battrais pour les distributions linux.
>
> Cela peut sembler juste être un élément de langage. Mais c'est aussi une
> posture qui permet de respecter son interlocuteur.
>
> Rappelez vous que Microsoft, ce n'est pas Sauron dans sa tour avec une
> armée d'orcs. Microsoft, ce sont des milliers de personnes dont la
> plupart sont fières du travail qu'elles réalisent. Beaucoup pensent
> sincèrement faire un travail utile pour la société. Ils sont nombreux à
> avoir des enfants.

Alors, je ne sais pas dans quel monde tu vis, mais si, Microsoft c'est 
Sauron au fond du Mordor.
Cette entreprise fait tout ce qu'elle peut pour échapper à l'impôt en 
France. Étouffant du même coup notre capacité à éduquer ses futurs 
cadres, à entretenir les routes qu'utilsent ses camion de livraison, à 
entretenir les réseaux électriques, téléphoniques ou postaux qu'elle 
utilise.
Lors des printemps arabes, la société Microsoft a vendu à la dictature 
tunisienne la validation par IE d'un certificat SSL bidon, permettant 
aux services secrets de mettre en place un faux portail Facebook.

http://www.fhimt.com/2011/09/04/microsoft-et-ben-ali-wikileaks-confirme-les-soupcons-d%E2%80%99une-aide-pour-la-surveillance-des-citoyens-tunisiens/

En 2010, Microsoft se permet ceci auprès du gouvernement brésilien :

http://www1.folha.uol.com.br/tec/2010/09/798606-microsoft-critica-posicao-do-governo-brasileiro-sobre-o-software-livre.shtml
En France, ils sont plus policés et passent par un pseudo syndicat 
d'éditeurs…

M. Bill Gates a une fortune qui est un scandale en soi. Fortune qu'il 
utilise pour vendre des OGM dans les pays du tiers-monde, les menant à 
la ruine.
http://news360x.fr/gates-monsanto-en-afrique-monde-selon-gates/
Ou à acheter des graines pour préserver la biodiversité qu'il contribue 
par ailleurs à détruire :

http://www.bioaddict.fr/article/un-bunker-pour-sauvegarder-la-biodiversite-a2862p1.html
Chose qui m'inquiète grandement…

Donc Microsoft ce n'est pas juste une petite entreprise qui fait son 
petit business. C'est une entreprise surpuissante, immensément riche qui 
promeut son modèle de société.
Je ne me bat pas *contre* Coca-Cola (http://killercoke.org/), je ne 
contente de ne jamais en boire, parce que personne ne m'impose encore de 
boire du Coca-Cola. A contrario, on m'impose, ou tente de m'imposer 
continuellement des solutions privatrices, qu'elles soient de Microsoft 
ou d'autres, et donc, je suis *contraint* de me battre *contre*.

> Qui sommes nous pour les juger ?

Un citoyen français et c'est bien suffisant. :-)

> Le libre existe depuis bien longtemps. Le projet GNU date de 1983. À
> l'époque, Microsoft était une société naine, sur qui beaucoup n'auraient
> pas investi un kopeck. Pourquoi le libre n'a pas plus pris ? Ne sommes
> nous pas, nous, acteurs du libre, responsable de ce retard ?

Non.
Les mathématiques existent depuis encore plus longtemps et le problème 
ne se pose à personne. C'est un travail intellectuel et donc il n'y a 
pas de « copyright ». La création logicielle cela devrait être pareil.
Certains au État-Unis ont essayé de mettre des brevets sur des 
théorèmes. Ils ont pour l'instant échoué. Bill Gates a réussi pour les 
logiciels. Et c'est très dommageable pour le monde entier. Car cela n'a 
pas de justification.
J'invite tout le monde à relire la « Lettre ouverte aux Hobbystes », 
écrite par Billi Gates en 1976.
http://www.volle.com/rennes/lettrebill.htm

> Face à un
> partenariat comme celui de microsoft, sommes nous capable de proposer
> une offre libre cohérente ? De proposer un accompagnement des
> enseignants via des MOOC de formation à LibreOffice ? De proposer un
> poste de travail libre suivi et cohérent ?

Oui nous pouvons. Ou plutôt, les solutions existent. Il appartient à la 
puissance publique de mettre cela en musique. Comme elle finance la 
recherche en mathétamiques.

> N'avons nous pas, acteur du
> libre, un problème avec cette armée mexicaine où tout le monde est chef
> ?

Je n'ai pas ce sentiment. Pas qu'il y a des chefs partout.

> Il est plus facile de blamer un ennemi qui serait responsable de tout
> que de faire l'examen de ses failles.

Il y a *une* faille. C'est le bug n°1 de la distribution Ubuntu.
https://bugs.launchpad.net/ubuntu/+bug/1
Et ça, il faut le *combattre*.

> Pourrions nous arrêter de blâmer Microsoft et nous concentrer sur ce que
> nous pourrions faire pour vraiment apporter des solutions efficaces aux
> établissements scolaires ?

Mais qui s'en soucie au gouvernement ?
On a presque tout ce qu'il faut ?
Cet accord n'avait pas lieu d'être. On n'a pas besoin de Microsoft. On a 
besoin que l'État s'engage dans le maintien et le développement de 
solutions libres, à côté des communautés d'utilisateurs.
Il fait quoi l'État pour Éole ? Combien de divisions Éole ?
Il a fait quoi pour Slis, LCS, et Se3 l'État ?
Il fait quoi pour Gepi et opensankoré ?
Il sait que le projet DebianÉdu existe l'État ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Skolelinux

Voir cet accord et ensuite entendre parler d'OS souverain et de clavier 
français, c'est juste ubuesque.

> Voilà, c'est pour toute ces raisons que malgré mon attachement à
> l'APRIL, malgré mes signatures à tous les appels contre les brevets
> logiciels, je n'ai pas signé la dernière pétition de l'APRIL. Par ce que
> je la crois contre productive.

Je pense que tu as eu grand tort.
Ne pas signer cet appel, ou qu'il n'existe pas, c'était poursuivre dans 
la spirale infernale dans laquelle nous sommes juste en baissant la tête.
Cet appel a eu plusieurs mérites. Mettre un coup de projecteur sur ce 
que je persiste à considérer comme un scandale. Et contraindre la 
société à se poser un certain nombre de questions.
Et puis amener de nouveaux lecteurs sur cette liste, ce qui a contribué 
à enrichir et diversifier les discussions. :-)

> J'espère humblement que les élèments que je vous ai présenté, qui sont
> le fruit de mon expérience de terrain, pourront enrichir la discussion.

C'est ce que nous essayons tous de faire. :-)



--

Louis-Maurice De Sousa