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sensibilisation - Re: [SENSIBILISATION] projet premier dessin animé : brevet logiciel

Objet : Liste de discussion pour le groupe sensibilisation (liste à inscription publique)

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Re: [SENSIBILISATION] projet premier dessin animé : brevet logiciel


Chronologique Discussions 
  • From: "Gérald Sédrati-Dinet (Gibus)" <gibus AT april.org>
  • To: mammig.linux AT gmail.com, sensibilisation AT april.org
  • Subject: Re: [SENSIBILISATION] projet premier dessin animé : brevet logiciel
  • Date: Mon, 26 Mar 2012 22:04:41 +0200

Le 23/03/2012 23:25, Frederic Couchet a écrit :
>>>>>> "mammig" == mammig linux <mammig.linux AT gmail.com> writes:
>
> mammig> Bonjour, Voici ce que j'envisage de faire pour le premier
> mammig> petit dessin animé ( sur les 4 dangers, le premier parlera
> mammig> des brevets logiciels )
>
> Vu que tu prends comme sujet les brevets logiciels, je te suggère de
> contacter gibus qui est notre expert sur le sujet et qui pourrait être
> de bon conseil. Il n'est pas sur la présente liste.

Je viens de m'inscrire sur la liste, mammig m'ayant fait suivre son
dernier mail avec le lien vers la première mouture de son dessin animé,
il vaut mieux que je réponde ici, de manière à être constructif.

Tout d'abord un grand merci et un grand bravo à mammig pour s'être lancé
là-dedans. Cela fait près de dix ans que je lutte contre les brevets
logiciels et je crois que je n'ai jamais réussi à raconter le problème
de manière suffisamment simple pour être comprise par les béotiens,
qu'ils soient non-informaticiens, ou non-juristes.

Je pense que cela vient du fait que les problèmes engendrés par les
brevets logiciels sont tellement multiples et supposent de connaître, au
moins grossièrement, ce qu'est un logiciel et ce qu'est un brevet. Ma
dernière tentative d'expliquer ça le plus pédagogiquement du monde est
dans les trois premières pages de cet interview à PCinpact:
<http://www.pcinpact.com/dossier/brevet-unitaire-europeen-logiciel-/205-1.htm>.

Le dessin animé de mammig s'attaque à cette tâche de simplification et
rien qu'en soi, je trouve l'idée formidablement utile, voire décisive
dans cette lutte contre les brevets logiciels.

Mais (ben oui, forcément, il y a un "mais", sinon je n'aurais même pas
mis mon grain de sel dans cette discussion s'il n'y avait pas de
critiques, que j'espère constructives, à faire) justement, je crains
qu'il ne pêche trop par simplification.

Je trouve en effet qu'en l'état, le dessin animé comporte des
inexactitudes qui, d'une part, ne manqueront pas d'être relevées par
ceux qui connaissent bien le sujet et ça va décrédibilser l'initiative.
Et d'autre part, les béotiens auront une idée faussée des
problématiques, ce qui risque de les empêcher de bien nous aider dans
cette lutte.

Je parle ici uniquement du fond, du scénario, des dialogues. Pour tout
ce qui est de la technique d'animation, des dessins, du son, je compte
fort sur tous les talents apriliens pour faire toutes les améliorations
inimaginables.

Il y a deux principales inexactitudes qui m'ont sauté aux yeux. Cela
concerne d'abord le fait que l'on présente la détentrice de brevet (en
débordant sur la forme, c'est peut-être délicat de faire jouer le rôle
de la méchante à une fille et celui du gentil à un garçon, on va se
retrouver avec des interventions de la BARBE devant l'UGC des
Champs-Élysée le jour où ce dessin animé y sera projeté !) comme ayant
juste eu une idée qu'elle n'a pas mise en œuvre, alors que le pauvre
petit informaticien spolié utilise la même idée dans un programme. Or
dans la majorité des cas, le détenteur de brevet a lui aussi mis en
œuvre son idée dans un produit (un logiciel en l'occurrence). Ne montrer
que le cas où le détenteur ne fait rien, fait courir le danger que l'on
retienne que le problème avec les brevets logiciels, ce sont les
"patents trolls" (i.e. les entreprises dont le modèle économique repose
sur la vente de licences de brevets et l'extorsion via des procès en
contrefaçon, sans aucun produit ou service à vendre) et rien d'autre. Or
les patents trolls représentent bien un danger considérable, mais pas
moindre que les Apple, Microsoft, SAP, Amazon ou Nokia, qui eux
fabriquent bien des logiciels basés sur leurs propres brevets, ce qui ne
les empêche pas, avec leur arsenal de brevets logiciels dont ils
n'hésitent pasà se servir, d'être une menace cataclismique pour toute
l'informatique.

La seconde critique principale porte sur le fait que l'on présente le
brevet comme portant sur une idée. Là, on va se prendre dans la figure,
la complainte habituelle des avocats comme quoi non, non, non ma bonne
dame, les idées sont de libre parcours, les brevets ne portent que sur
des applications de ces idées. Et là, il y a un gros problème, parce que
ces avocats n'ont pas tout à fait tort, alors que le dessin animé de
mammig a tout de même un petit peu raison. Je vais essayer d'expliquer
ça le mieux possible, mais c'est pas évident de simplifier (d'où tout
l'intérêt de ce dessin animé).

On peut en effet dire qu'un logiciel est composé d'idées. D'idées qu'on
pourrait qualifier d'informatiques, ou plus précisément
d'algorithmiques, c'est-à-dire mathématiques. Premier point, il faut
insister sur le fait que dans un seul logiciel, il y a des milliers,
voire des millions de telles idées algorithmiques. C'est très important
parce que cela fait qu'on est quasi certain que tout logiciel incorpore
au moins une, et très certainement plusieurs idées qui ont été
brevetées. Cela souligne déjà le danger que font courir les brevets sur
les logiciels : si les tribunaux considèrent que les brevets logiciels
sont valides, alors plus un seul logiciel ne pourra exister sans
s'acquitter d'une rente à chacun des détenteurs de brevets. Si jamais il
y a un détenteur par idée brevetée, il faudra avant qu'un logiciel ne
puisse exister, que celui qui le programme paye une certaine somme,
souvent un pourcentage des bénéfices réalisés, à des millliers ou des
millions de personnes. Si chacun demande 1% des bénéfices réalisés, à
partir de la centième idée, cela ne devient plus rentable de le
développer ! Bon avec de la chance, les millions d'idées algorithmiques
contenues dans le logiciel ne seront brevetées que par deux ou trois
multinationales qui pourront faire un prix de gros...

Le second point est certainement le plus difficile à comprendre. C'est
que pour exprimer une idée algorithmique, on doit la traduire dans un
certain language (au sens large, je ne parle pas ici que de langages
informatiques, mais j'y viens...). On peut le faire en français, en
anglais ou en espagnol. On peut le faire aussi en language de
"conseiller en propriété industrielle". Et cela donne le texte du
brevet, tel qu'il a été déposé (et malheureusement accordé). Ça c'est en
théorie. En théorie uniquement, parce que bien souvent les langages
"humains" n'offrent pas une précision et une simplicité suffisante pour
décrire clairement des idées mathématiques. Quant au texte d'une demande
de brevet en langage juridique, il est bien souvent abscons. Et cela à
dessein, car d'une part, le détenteur du brevet n'a pas souvent vraiment
envie de révéler tous ses secret de fabrication (ce qui est pourtant
contraire au droit des brevets) et, d'autre part, plus le brevet décrit
de manière vague l'idée algorithmique, plus ce flou sera susceptible
d'englober de choses et donc plus le monopole accordé par ce brevet
permettra d'éliminer des concurrents.

En pratique, le meilleur moyen de décrire une idée informatique, c'est
d'écrire 'algorithme dans un "pseudo-code", qui est une sorte de langage
informatique avec des mots français (ou anglais, ou espagnols, etc.). On
écrit par ex. : SI <telle condition> ALORS <telle action>. On peut le
faire aussi sous forme de diagramme. Ensuite, la personne qui développe
le logiel "traduira" ce pseudo-code dans un language informatique. Et
selon la précision de la syntaxe utilisée dans le pseudo-code et la
richesse du langage informatique, cette "traduction" sera plus ou moins
directe et immédiate.

En très pratique, la quasi totalité des informaticiens n'écrivent pas
leurs idées algorithmiques en pseudo code. Ils codent directement l'idée
dans un langage informatique, tant qu'à faire, c'est on ne peut plus
direct et immédiat.

Mais ce qu'il faut retenir, c'est que le logiciel est sa propre
description. Son code source décrit les idées qu'il met en œuvre
lorsqu'on l'exécute.

Et il existe mille et une façon de coder la même idée informatique. Non
seulement parce que l'on peut utiliser divers langages informatiques,
mais aussi et surtout parce qu'on peut utiliser diverses techniques,
divers moyens de parvenir au même résultat. Il n'est qu'à se représenter
les diverses techniques algorithmiques pour calculer une factorielle (en
utilisant ou non la réccursivité par exemple). Ou encore la manière dont
on apprend à l'école en France à faire une addition, en posant le
chiffres des unités, dizaines, centaines, etc. en colonnes, en
commançant par additionner la colonne de droite et en progressant ainsi
successivement vers la gauche, tout en posant des retenues sur la
prochaine colonne à traiter (piouf! vous voyez c'est un peu longuet de
décrire un algorithme en français !). Ceux qui apprennent à additionner
avce l'aide d'un boulier trouveraient cette technique complètement
farfelue, alors que réciproquement, qui ici sait compter avec un bouiler
? J'ai pris ici des exemples purement mathématique, mais on peut monter
que tout, vraiment tout, ce que font les logiciels peut être écrit
mathématiquement. Les exemples partixuliers ne sont donc pas des
exceptions choisies, mais illustrent parfaitement la règle générale.

Bref, tout brevet logiciel n'est qu'une manière (et pas la meilleure) de
décrire une idée informatique. Et tout logiciel qui met en œuvre cette
idée, n'est pas seulement une application de cette idée mais une autre
manière de la décrire. Autoriser un monopole là-dessus, c'est empêcher
d'utiliser tout autre moyen d'arriver au même résultat. Même si cet
autre moyen aurait été plus efficace ou plus robuste aux erreurs.

Je pourrais approfondir (en évoquant l'aspect "utilitaire" du logiciel
où sur le fanger pour les méthodes intellectuelles du fait que les
logiciels peuvent théoriquement être mis en œuvre par le cerveau
humain). Mais je crois (j'espère ?) que ça suffira déjà pour comprendre
ce qui cloche dans le fond de cette maquette de dessin animé.

Et, franchement, je ne sais pas s'il est possible d'exprimer simplement
dans un dessin animé ce que je viens de dire là, sans que la
simplification n'introduise des contre-vérités.

Par contre, il est peut-être possible de prendre le problème à l'envers.
Prendre comme point de départ, un monde où les brevets logiciels
seraient clairement autorisés partout et où, en tant qu'armes de
destruction massive de la concurrence économiques, ils auraient été
utilisés de manière exacerbée jusqu'à leur paroxysme : un monde orwelien
où toute l'informatique serait contrôlée par une entreprise unique, qui
aurait réussi à ammasser un arsenal de brevets suffisant pour éliminer
toute concurrence, commerciale ou non, tout éditeur de logiciels
propriétaires ou libres. Qu'est-ce qu'un tel monopole signifierait dans
nos activités sociales et économiques dans lesquelles le logiciel
devient de plus en plus hégémonique ? Puis remonter en expliquant que
c'est parce qu'un jour on a autorisé les brevets sur les logiciels...

Ma foi, j'espère que je ne chamboule pas un peu tout avec ça et que
cette dernière piste pourrait stimuler toute votre créativité !

Bonne continuation comme dirait le prez :) je reste sur la liste pour
suivre les avancées et essayer d'éclaircir ce qui n'est peut-être pas
encore limpide pour tout le monde sur les brevets logiciels.

--
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